Opéra Bastille, 18 & 27 décembre
En revoyant cette production de La forza del destino à l’Opéra Bastille, nous frappent aujourd’hui, plus qu’à sa création, en novembre 2011 (voir O. M. n° 69 p. 47 de décembre), la profonde honnêteté de la lecture de Jean-Claude Auvray, qui s’efforce de trouver une continuité dramatique à cette succession de scènes parfois assez disparate, et sa grande beauté plastique.
La réussite du spectacle tient, aussi, à la solide direction musicale de Jader Bignamini. À la tête des excellents Orchestre et Chœurs de l’Opéra National de Paris, le chef italien effectue de convaincants débuts en cette maison, montrant un savoir-faire et une élégance indéniables, en particulier par la fluidité avec laquelle il sait enchaîner les ambiances les plus diverses. Il lui manque, peut-être, une certaine urgence dans la conduite dramatique, ainsi qu’une plus grande autorité face aux alanguissements de sa chanteuse vedette.
Il faut dire que, selon la Leonora affichée, le déroulement de la soirée semble très différent. Le 18 décembre, Anna Netrebko, qui n’a assuré que trois des quatre représentations prévues avec elle, est applaudie à chacune de ses apparitions, puis reçoit un accueil absolument délirant aux saluts. Personnellement, sa prestation nous laisse partagé.
Certes, on peut être sensible au magnétisme de l’artiste, et impressionné par la puissance de l’instrument et la beauté inentamée de l’aigu, notamment pour d’ineffables piani filés. Mais cela suffit-il à faire oublier une émission très grossie, le plus souvent opaque dans le médium et le grave, une prononciation constamment déformée, de fréquents écarts de justesse et une tendance à vouloir constamment ralentir le tempo ?
Ainsi d’un « Pace, pace, mio Dio ! » à l’attaque incertaine et qui s’enlise dans un rubato perpétuel, mais dont les splendides si bémol, le premier interminablement filé sur « Invan la pace », le second longuement tenu fortissimo à la fin, suffisent à faire crouler la salle.
Le 27 décembre, Anna Pirozzi, qui succède à la diva russo-autrichienne, impressionne, pour ses débuts à l’Opéra National de Paris, par la sûreté d’un instrument homogène, puissant mais jamais tonitruant, ni forcé, et par l’excellence d’une technique capable d’un cantabile sans faille et d’aigus, tour à tour, tranchants ou filés. Mais la soprano italienne nous touche, plus encore, par sa sensiblité et sa sincérité, celles d’une artiste qui, sans chercher à tirer la couverture à elle, sait faire du spectacle une réussite d’ensemble.
Ferruccio Furlanetto est un Padre Guardiano impressionnant d’humanité : certes, à 73 ans, l’aigu de la basse italienne a un peu perdu en aisance, mais le grave possède encore un beau creux, et quelle noblesse dans le maintien, le phrasé et la diction !
Que dire, qui n’ait déjà été dit maintes fois, du Don Carlo de très grande classe de Ludovic Tézier ? Dans une forme éblouissante, mais surtout maître absolu de son instrument, le baryton français délivre, les deux soirs, un « Urna fatale » électrisant.
Le solide Don Alvaro de Russell Thomas ne plane pas tout à fait sur ces hauteurs, commençant même de façon un peu hésitante. Il faut attendre sa grande scène au début du III, « O tu che in seno agli angeli », pour que la voix du ténor américain se libère enfin, montrant métal et expansion dans l’aigu, et trouvant, dans ses trois duos avec Don Carlo, des accents de plus en plus ardents.
Déjà présent à la création de la production, le baryton italien Nicola Alaimo demeure un remarquable Melitone, dont la truculence n’exclut en rien la précision musicale et la beauté sonore, avec une appréciable volubilité.
On est moins convaincu par la mezzo russe Elena Maximova, explosive Preziosilla et grande habituée du rôle, dont la voix de bronze et l’abattage ne font pas oublier des registres trop disparates, un vibrato élargi, en lieu et place d’un vrai trille, et des vocalises parfois outrageusement savonnées.
Enfin, on apprécie le soin apporté à la distribution des comprimari où brillent, dès le lever de rideau, la sonore Curra de Julie Pasturaud et le fier Marquis de James Creswell, tout comme l’on remarque, ensuite, le Trabuco mordant de Carlo Bosi.
THIERRY GUYENNE