Opéras Les Carmélites ouvrent la saison à Rome
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Les Carmélites ouvrent la saison à Rome

04/01/2023
© Opera di Roma/Fabrizio Sansoni

Teatro Costanzi, 27 novembre

Poulenc dédie Dialogues des Carmélites à la mémoire de sa mère, qui lui « a révélé la musique », de Debussy, qui lui « a donné le goût d’en écrire », et enfin de Monteverdi, Verdi et Moussorgski, qui lui « ont ici servi de maîtres ». Puis, à l’occasion de la première de l’ouvrage, au Palais Garnier, cinq mois après sa création, en italien, à la Scala de Milan, le 26 janvier 1957, il indique, dans un texte rédigé sous la forme d’une lettre à l’administrateur de l’Opéra de Paris, que « l’orchestration, absolument normale, est celle d’un opéra de Verdi ».

C’est bien dans cette perspective que Michele Mariotti aborde la partition, « drame lyrique » à l’ancienne, qu’il inscrit profondément, sinon dans une tradition, du moins dans cette filiation remontant aux origines du genre. La signature du compositeur – qui se disait, lui-même, « moine et voyou » – n’en apparaît que plus saillante, quand des lectures censément plus objectives et analytiques, où la soi-disant modernité s’entend comme une fin, plutôt qu’un moyen, cherchent à en atténuer le charme singulier, jusqu’à l’assécher.

Au rideau final de cette nouvelle production romaine, marquant l’ouverture de la saison 2022-2023, le nouveau directeur musical du Teatro dell’Opera remporte un succès personnel aussi grand que mérité, en imprimant sa marque sur une œuvre certes bien ancrée au répertoire, mais sans doute atypique dans le contexte d’un début de mandat, a fortiori dans un théâtre italien.

Le spectacle d’Emma Dante laisse, en revanche, assez perplexe. Entre références picturales – une série de portraits de David, contemporains ou, pour certains, postérieurs à la Révolution française, se dévoile comme la mémoire de la vie de chacune de ces femmes, avant leur entrée au couvent –, excès de symboles plus ou moins christiques, et invention de rituels archaïsants et horrifiques – dont le boitement des sœurs, soumises à l’épreuve de la douleur physique en se broyant le pied sous une pierre, est le stigmate le plus visible –, la mise en scène tend à surcharger une action qui requiert, pour toucher au plus juste, et avec la plus grande force, la plus intense sobriété.

Pourquoi ces domestiques empanachés de bleu chez le Marquis de la Force, lui-même paré, sur sa chaise roulante, d’un col de fourrure, d’un goût fort douteux ? Et l’abandon de la bure au profit d’une armure – plastron argenté et casque comme une auréole –, pour des religieuses élevées, par leur vœu, au rang de vierges guerrières ? Ce choix aura eu l’inconvénient, pendant une bonne partie de la représentation, de me faire penser – que Dieu me pardonne ! – à Don Quichotte plutôt qu’à Jeanne d’Arc.

Il faut toutefois reconnaître à Emma Dante l’efficacité, la poésie même, du dernier tableau. Dépouillés des peintures de David, les cadres en bois doré accueillent les sœurs vêtues de blanc, prêtes à monter à l’échafaud. À chaque coup de guillotine tombe une toile immaculée, jusqu’à l’apparition, en surplomb, de Blanche en croix, dont Corinne Winters ne traduit pas, même à cet ultime instant, sinon la transfiguration, du moins l’évolution.

La soprano américaine a beau être, d’après la plupart de ceux qui l’ont vue et entendue en Jenufa et Katia Kabanova, une interprète d’exception, l’héroïne de Dialogues des Carmélites lui échappe absolument, malgré une indéniable adéquation physique. D’abord, à cause d’une voix désespérément mate, affrontant crânement les aigus dont sa partie est hérissée, mais d’une émission trop uniformément large et tranchante. Ensuite, parce que la langue de Bernanos lui échappe. Et, partant, le style de Poulenc.

Elle n’est certes pas la seule, au sein d’un plateau qui, pour cette raison même, paraît bien disparate. Seul francophone, Jean-François Lapointe achoppe, comme beaucoup, sur le débit du Marquis, dont la tessiture trop grave ne lui permet pas de passer la rampe. C’est dès lors, et de façon inattendue, au Chevalier, son fils, qu’il revient de donner une leçon, et de prononciation, et de diction : dans ce rôle aussi épisodique que périlleux, car tendu, voire ingrat, Bogdan Volkov atteint d’emblée une sorte d’évidence, limpide et exaltée.

Sans avoir la facilité ingénue de titulaires plus légères, Emöke Barath trouve l’insouciance, parfois presque sacrilège, de Sœur Constance, tandis qu’Ekaterina Gubanova est, en Mère Marie, un modèle de maintien et de rectitude vocale. Tosca parmi les plus infaillibles du moment, et impressionnante Turandot sur la même scène, la saison dernière, Ewa Vesin possède le format de Madame Lidoine. Moins la capacité d’allégement que ses adieux appellent, sans rien dire de cette manière « un peu à la bonne franquette » de donner leur juste poids aux mots.

Tout l’inverse, en somme, d’Anna Caterina Antonacci, qui n’a plus que l’ombre d’un timbre, surtout dans le registre de contralto de Madame de Croissy, qu’elle a la distinction, comparée à de très illustres devancières, de ne pas contrefaire en abusant des résonances de poitrine – de même qu’elle est étrangère à cet expressionnisme caricatural, par lequel la scène de la mort peut facilement tourner au grand-guignol –, mais dont l’art de tragédienne va droit au cœur du texte. Même aux limites de l’inaudible.

MEHDI MAHDAVI


© Opera di Roma/Fabrizio Sansoni

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