Interview Stéphane Braunschweig : « J’essaie de raconter...
Interview

Stéphane Braunschweig : « J’essaie de raconter ce que Mozart devait ressentir face à la mort » 

13/01/2023
© Carole Bellaïche

Mettre en scène le Requiem de Mozart trois ans et demi – et une pandémie – après Romeo Castellucci ? Un défi artistique, doublé d’une expérience de production écoresponsable, lancé à Stéphane Braunschweig par l’Opéra National de Bordeaux. Le directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe lève un coin du voile sur sa vision entre angoisse et désir d’apaisement.

Pouvez-vous nous raconter la genèse du projet ?

J’ai travaillé l’an dernier avec le Chœur de l’Opéra de Bordeaux sur Eugène Onéguine de Tchaïkovski, au Théâtre des Champs-Élysées. Nous nous étions très bien entendus, et quand Emmanuel Hondré, le directeur de la maison, m’a proposé le Requiem de Mozart, qui est une grande œuvre chorale, j’ai accepté tout de suite. Cet ensemble a du plaisir à faire de la scène, et il est toujours prêt à essayer des choses. Je suis respectueux des artistes des chœurs, parce que mon travail consiste à les faire chanter le mieux possible, et à ne pas les contraindre, ou les entraver. Cela signifie trouver le bon équilibre, afin de parvenir à créer des mouvements expressifs sur lesquels ils vont pouvoir s’appuyer pour épanouir la voix. C’est un projet enthousiasmant, même si je n’ai encore jamais mis en scène d’oratorio ou de messe : j’ai toujours travaillé sur des livrets qui racontaient des histoires. 


Mireille Delunsch (Madame Larina) et le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux dans Eugène Onéguine de Tchaïkovski mis en scène par Stéphane Braunschweig au Theatre des Champs-Élysées en 2021. © Vincent Pontet

Quelle a été votre approche de l’œuvre ? Y avez-vous cherché une dramaturgie, ou avez-vous assumé sa portée symbolique, sa dimension universelle ?

J’essaie toujours de m’appuyer sur ce que je ressens de la musique. On se raconte forcément une sorte d’histoire, mais pas au sens d’une narration. Je cherche aussi à me mettre dans la tête du compositeur, à ressentir ce qu’il ressentait. Le fait qu’il s’agisse d’une œuvre essentiellement chorale, mais qui met en dialogue l’individu et le collectif, la part plus personnelle de Mozart et des sentiments plus universels, est profondément émouvant. Parmi les solistes, la soprano a un rôle moteur : c’est la seule que je mets un peu à part – les autres vont être mélangés au chœur, et avoir une fonction de choryphées. Elle sera en quelque sorte la représentante de Mozart sur scène, et la seule à porter un costume XVIIIe. Après les huit premières mesures du Lacrymosa, les dernières écrites par le compositeur, elle s’en séparera et ira se fondre avec les autres : Mozart nous abandonne à ce moment-là. Le sujet de cette œuvre est vraiment la confrontation à la mort. Il y a évidemment cette aspiration à la vie éternelle, ou à la vie de l’âme. Mais le Requiem parle de la mort tant qu’on est encore du côté de la vie. C’est une pièce sur l’entre-deux, sur le passage.

Travailler dans un certain dénuement permet de produire des images simples et fortes en même temps. Stéphane Braunschweig

Pourquoi mettre en scène un oratorio ? Qu’est-ce que cela peut apporter au public dans son rapport à l’œuvre ?

La version scénique peut permettre de faire réentendre au public toute la composante humaine de l’œuvre, au-delà de sa dimension religieuse. Si on joue le Requiem dans une église, c’est une messe, mais si on le donne au théâtre, on perçoit davantage que cette pièce est écartelée entre l’aspiration à la sérénité, à un désir peut-être de vie éternelle, et les bouffées d’angoisse face à cette mort qui arrive. L’Introitus et le Kyrie, qui peuvent selon moi être pensés ensemble, présentent déjà ce mouvement vers le repos immédiatement, suivi d’une peur profonde qui s’empare du chœur. Je suis parti de cela, pour essayer de raconter, peut-être, ce que Mozart devait ressentir face à la mort : ce désir d’apaisement et cette angoisse. On entend souvent que le Requiem est un grand mouvement vers la paix, mais c’est difficile à croire, dès lors qu’il s’achève sur un retour du Kyrie. C’est l’œuvre de quelqu’un qui doute, et c’est vraiment émouvant.

Cette production est montée avec une démarche écoresponsable. En quoi consiste-t-elle, et comment a-t-elle influencé votre travail ?

Avec Emmanuel Hondré, nous avons imaginé un projet quasiment zéro achat, avec de la récupération d’éléments de décors et de costumes déjà existants, aux antipodes de la richesse de la production de Romeo Castellucci au Festival d’Aix-en-Provence, qui était d’ailleurs très belle. Travailler dans un certain dénuement permet, il me semble, de produire des images simples et fortes en même temps. Le spectacle s’ouvre sur une sorte de cimetière avec des caisses en bois, entouré de trois grands voilages blancs : elles représentent des cercueils de fortune, qui évoquent les morts dans les épidémies ou dans les guerres. Ces caisses sont déplacées par les choristes, et créent des configurations différentes, et qui racontent une histoire. On est nu face à la mort. Je ne sais pas si cette dimension écologique du spectacle a changé ma direction d’acteurs, mais elle nous met dans cette situation de dénuement.


Don Giovanni de Mozart mis en scène par Stéphane Braunschweig au Théâtre des Champs-Élysées en 2013. © Vincent Pontet / WikiSpectacle

Y a-t-il eu des sources d’inspiration contemporaines pour ce spectacle ?

Nous avons débuté notre travail sur ce projet alors que nous sortions de deux ans de pandémie : énormément de personnes sont mortes, qui ne s’y attendaient pas. Nous sommes à présent en pleine guerre en Ukraine, et témoins de toutes ces catastrophes naturelles provoquées par le dérèglement climatique… J’avais envie, pour essayer de penser ce qu’est la mort pour un collectif, d’évoquer ces sensations que nous éprouvons, et qui participent au tragique contemporain. Lorsque nous avons commencé à réfléchir aux costumes avec Thibault Vancraenenbroeck, la première idée a été de mettre les choristes dans des limbes, peut-être dans des aubes blanches… Puis nous avons repensé à ces photos du 11 septembre, qui racontent, de façon assez concrète, que tous ces gens, riches ou pauvres, quels que soient leur sexe ou leur classe sociale, ont été recouverts de la même poussière, des mêmes cendres. Nous nous sommes inspirés  de ces images, même si nous n’avions pas envie d’aller vers une dimension trop référentielle. Car nous voulons que l’interprétation du public reste ouverte, et qu’il fasse lui-même le lien avec ce qui l’entoure. 

Propos recueillis par CLAIRE-MARIE CAUSSIN

À voir :

Requiem de Mozart, avec le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux, Hélène Carpentier (soprano), Fleur Barron (mezzo-soprano), Oleksiy Palchykov (ténor) et Thomas Dear (basse), sous la direction de Roberto González-Monjas, et dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig, à l’Opéra National de Bordeaux, du 20 au 28 janvier 2023.

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