Salle Favart, 27 novembre
Pour célébrer les 25 ans de carrière de Karine Deshayes, « L’Instant Lyrique » offre des moments de pure musique. Le commencement pourrait prêter à sourire… L’héroïne du soir s’avance sur le plateau de l’Opéra-Comique et chante : « Je suis seule chez moi, seule avec ma douleur ! » (Les Huguenots). Il n’y a pas de quoi s’inquiéter : la salle est remplie d’amis et d’admirateurs ! Dans le rôle créé par Cornélie Falcon, notre Valentine est accompagnée par le pianiste Mathieu Pordoy et le corniste André Cazalet.
Dans La clemenza di Tito, la cantatrice (soprano ou mezzo ?) française, avec Antoine Palloc au piano et le clarinettiste Pierre Génisson, exprime parfaitement le déchirement de Sesto, entre son amour pour Vitellia et son amitié pour Tito (« Parto… »). Pour Semiramide, c’est avec Delphine Haidan que Karine Deshayes s’adonne au duo « Giorno d’orrore ! ».
La violoniste Geneviève Laurenceau célèbre les charmes de la « Méditation » de Thaïs, puis unit son lyrisme à celui de Karine Deshayes dans le sublime Morgen ! de Richard Strauss. L’univers du lied est honoré, également, par Litanei auf das Fest Allerseelen de Schubert : accompagnée par le piano de Bruno Fontaine, Delphine Haidan joint son timbre sombre à la clarinette de Pierre Génisson.
Intermède malicieux : Natalie Dessay vient détourner les paroles de La Reine de cœur (tirée du cycle La Courte Paille de Poulenc), devenue « reine des bulles », le champagne étant la boisson favorite de l’héroïne de la soirée ! Puis Cyrille Dubois (Don Ramiro) succombe au coup de foudre devant Karine Deshayes (Angelina/Cenerentola) dans « Un soave non so che… ». Il nous ravit, ensuite, dans La Jolie Fille de Perth de Bizet (« À la voix d’un amant fidèle »).
Paul Gay entraîne vers d’autres horizons. Dans Simon Boccanegra, l’air poignant de Fiesco (« Il lacerato spirito ») laisse admirer une longueur de souffle et un fa dièse grave impressionnants. Mais notre chanteur a plus d’un tour dans son escarcelle : métamorphosé en Don Giovanni, il enlève littéralement Zerlina/Karine dans ses bras, au terme de « Là ci darem la mano ». Natalie Dessay se joint à eux pour le trio « Soave sia il vento », extrait de Cosi fan tutte.
La « Berceuse » de Jocelyn, de Benjamin Godard, pour laquelle le piano d’Antoine Palloc et le violoncelle de Christian-Pierre La Marca unissent leur chant à celui de Karine Deshayes, puis Lakmé, avec Mathieu Pordoy, retrouvent la musique française.
L’éclectisme régnant, à L’Absent de Gounod (Karine Deshayes, Arnaud Thorette, Christian-Pierre La Marca, Johan Farjot), succède un éblouissant moment de clarinette (Pierre Génisson), voué à Sweet Lorraine de Clifford Burwell, qui conduit à un tutti : instrumentistes et chanteurs rêvent ensemble au poétique Youkali de Kurt Weill.
Tout n’est pas fini, cependant. Surgit l’invité surprise, Michael Spyres, qui se transforme en Pollione pour le duo « In mia man », puisque Karine Deshayes, marraine de « L’Instant lyrique » depuis le premier jour, chante désormais le rôle-titre de Norma.
Comment sceller cette connivence entre les artistes et le public ? Bien entendu, par le « Brindisi » de La traviata. Soprano(s ?), mezzo(s ?), ténors, baryton-basse, violoniste, altiste, violoncelliste, clarinettiste, corniste et pianistes y vont donc de leur « Libiamo… » à quatorze.
PATRICE HENRIOT