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Ah, qu’il est beau le débit de l’air !

06/01/2023
© Aliette Gousseau

Quelques notions d’anatomie et de physiologie de la voix chantée

Loin de nous la volonté de désacraliser l’image quasi mystique du chanteur lyrique, mais il nous semblait important de vous livrer quelques explications sur la réalité physiologique de la voix. Et force est de constater que chanter n’est pas un acte si naturel que cela…

La production des sons est possible grâce à l’intervention synchronisée de trois grands ensembles anatomiques : la soufflerie, dont le rôle est joué par les poumons, le vibrateur, constitué par les cordes vocales situées dans le larynx, et les résonateurs situés dans la cavité pharyngo-buccale. Pendant la phonation, l’air est expulsé depuis les poumons et s’engage dans la trachée en haut de laquelle il se heurte aux cordes vocales. À chaque ouverture des cordes vocales, des bouffées d’air provenant des poumons se succèdent à un rythme plus ou moins rapide selon que les cordes vocales vibrent plus ou moins vite. Pour rappel, plus elles vibrent vite, plus le son est aigu, et inversement. Par exemple, lorsque la soprano Mado Robin émettait sa note la plus aiguë, le ré6 (un contre-contre-ré !), ses cordes vocales vibraient 2 349 fois par seconde.

La soufflerie, moteur vibratoire

Sans air, point de son. Les poumons et les structures adjacentes impliquées dans la respiration vont donc être le moteur de la phonation. Au repos, la respiration est une activité réflexe. Réflexe, car elle ne nécessite aucune action consciente et volontaire du diaphragme, muscle situé sous les poumons, qui se présente sous la forme d’un parachute. Lors de la respiration réflexe, on ingère environ 500 ml d’air. Le chant exige 1 000 à 1500 ml d’air et impose ainsi un acte conscient et volontaire. Pendant l’inspiration, le volume des poumons augmente de façon considérable, car le thorax s’élargit dans toutes ses dimensions sous l’action simultanée de plusieurs groupes musculaires. L’activité de ces muscles est coordonnée à celle du diaphragme, qui, en se contractant, va descendre, augmentant ainsi le volume de la cavité thoracique. L’expiration, passive dans la respiration réflexe, devient active dans la parole, et volontaire dans le chant, où il faut contrôler avec précision l’écoulement du flux aérien.

Pour chanter, le fonctionnement respiratoire le plus efficient est la respiration costo-abdominale, dans laquelle l’action du diaphragme est la plus performante. En effet, au cours de l’inspiration, le diaphragme travaille en synergie avec les muscles intercostaux pour soulever les dernières côtes, ouvrant ainsi un espace thoracique optimal, qui favorise une prise d’air plus importante que celle nécessaire dans la parole. En revanche, pour tenir des notes pendant un moment ou émettre de longues phrases musicales, le chanteur doit « soutenir sa voix » et gérer l’air de manière économique. Pour ce faire, il va ralentir la vidange pulmonaire en conservant une position inspiratoire pendant toute la durée de l’expiration grâce à la contraction simultanée des muscles inspirateurs (diaphragme, muscles intercostaux externes) et expirateurs (muscle transverse de l’abdomen, muscles intercostaux moyens et internes).

Conserver cette configuration inspiratoire lors de l’expiration n’est pas « naturel » et demande un certain apprentissage. C’est à l’aide de ces mêmes muscles que le chanteur va pouvoir moduler la compression périphérique de manière à obtenir une régulation très fine de la pression expiratoire et du débit qui lui permettra de les adapter en permanence aux impératifs du chant. Ce contrôle permet de réguler avec précision non seulement le souffle, mais aussi l’intensité, la stabilité et la justesse de la voix. Aujourd’hui, la soprano Nadine Sierra est un exemple en matière de contrôle de gestion de l’air, capable de notes filées qui semblent intermi­nables, et suscitent l’admiration des spectateurs.


Illustration : Aliette Gousseau

Illustration : Aliette Gousseau

Le larynx prend le pli

Le larynx est un organe d’une vingtaine de centimètres constitué par un ensemble de tissus mous (muscles, ligaments, muqueuses) et rigidifié par un système de cartilages dont certains sont mobiles, d’une part par rapport aux autres structures cervicales et, d’autre part, les uns par rapport aux autres. Il se trouve dans le cou, en avant du pharynx, par lequel passent les aliments que nous consommons et qui vont voyager dans l’œsophage jusqu’à l’estomac.


Illustration : Aliette Gousseau

Illustration : Aliette Gousseau

C’est dans le larynx que se situent les fameuses cordes vocales. Ce terme est trompeur, car il ne s’agit pas de cordes comme on peut se les représenter sur un violon ou une guitare (et qui ont besoin d’être frottées ou pincées pour produire du son), mais plutôt de deux plis vocaux, chacun étant composé d’un muscle avec, en son bord interne, un ligament – de 2 à 4 mm d’épaisseur et d’une longueur moyenne de 23 mm chez l’homme et de 19 mm chez la femme – qui va se modifier en longueur et en épaisseur selon la hauteur du son produit. Ces différentes modifications sont permises grâce à l’activité coordonnée de structures anatomiques que nous ne détaillerons pas ici. Les plis vocaux sont recouverts de muqueuses de couleur blanc nacré, permettant un système de glissement lorsqu’elles vont entrer en contact entre elles pour produire un son. Le parallèle le plus parlant serait celui avec nos lèvres, dont l’objectif est de se fermer, de s’ouvrir et de vibrer selon la pression de l’air expiré (quand on siffle, par exemple). Ainsi, on peut comparer l’appareil vocal à un instrument à vent, comme la flûte, la clarinette ou le hautbois.


Illustration : Aliette Gousseau

Illustration : Aliette Gousseau

Les résonateurs ou la gestion des flux

Le son qui sort du larynx va être modifié par les différentes cavités de résonance situées au-dessus des cordes vocales (les cavités supraglottiques : l’oropharynx, le nez, les lèvres…), pour obtenir un timbre qui lui est propre. Ainsi, la morphologie de chaque chanteur va avoir un impact sur le timbre. Les modifications de formes et de dimensions de ces cavités supraglottiques sont dues aux mouvements des organes articulateurs (langue, voile du palais, mandibule, lèvres…) et permettent la formation des voyelles et des consonnes. La voix chantée nécessite un conduit vocal entièrement libre. La réalisation des voyelles ne pose pas un problème majeur dans le chant, mais les consonnes ne peuvent être produites qu’avec une obstruction ou un resserrement momentané du conduit vocal, qui entrave l’écoulement du flux aérien et rompt la continuité de la ligne mélodique. Tout l’art du chanteur consiste donc à trouver un équilibre entre les accommodations bucco-pharyngées indispensables à une émission vocale correcte et les modifications de la cavité buccale nécessaires à l’articulation des sons.

Art ou médecine : question de registre

Il est difficile d’utiliser un vocabulaire commun entre médecins et chanteurs. Ces derniers partent, en effet, de leur ressenti et s’attachent à expliquer les différents aspects de la voix qui les concernent dans la pratique de leur art, alors que les médecins se fondent sur ce qu’ils observent. Le terme de registre, par exemple, a été utilisé pour la première fois par Manuel García au XIXe siècle et définissait alors « une étendue de notes dans laquelle le fonctionnement de la voix est homogène ». Mais que se passe-t-il réellement dans la gorge d’un chanteur ?

La voix est émise selon quatre configurations glottiques différentes que l’on appelle « mécanismes de fonctionnement laryngés », définis par l’orthophoniste Bernard Roubeau. Ils sont la résultante d’un type de vibration des cordes vocales. Dans le premier mécanisme, dit M0, les cordes vocales sont relâchées, très courtes et épaisses. Il est employé pour la production du registre « fry » ou « strohbass » (utilisé pour produire les sons les plus graves de notre voix). Dans le deuxième mécanisme, dit M1, on observe une stimulation du muscle vocal et la vibration prend la masse totale des deux plis vocaux ; le ligament est détendu. Plus la masse vibrante est importante, plus le son est grave. Il est synonyme de registre (ou voix) de poitrine. Dans le troisième mécanisme – M2 –, Le muscle vocal est plus détendu et ne participe donc plus à la masse vibrante en action. En revanche, le ligament est plus tendu, donc plus mince. Il est synonyme de registre (ou voix) de tête. Enfin, le quatrième mécanisme – M3 – présente des plis vocaux très tendus et fins, qui ne vibrent plus que sur une partie de leur longueur. Tout est crispé. Ainsi, la masse vibrante et l’amplitude de la vibration sont réduites. Le son produit est très aigu et parfois détimbré (voix de sifflet). Coluche employait assez souvent ce mécanisme. Dans le chant lyrique, certains sopranos légers l’utilisent pour émettre des notes suraiguës, qui, bien souvent, ne sont pas inscrites dans les partitions.

En résumé, on considère que les voix d’hommes (basses, barytons et ténors) et certaines voix de femmes (contraltos) utilisent essentiellement le mécanisme M1, et que les voix de femmes (mezzo-sopranos et sopranos), ainsi que les contre-ténors, ont principalement recours au mécanisme M2.

Le passage sans transition

Il n’est pas possible d’être dans deux mécanismes simultanément : on se trouve forcément dans une de ces quatre configurations. La transition – le passage, de l’italien passaggio – entre deux mécanismes sera quasiment imperceptible chez un bon chanteur. En revanche, cette transition sera audible de façon nette chez les voix non cultivées. Essayez chez vous : sur un « a », partez du plus grave et montez dans les aigus. Vous allez sentir le moment où le passage entre les mécanismes M1 et M2 a lieu. Les chanteurs vont avoir recours à ce que l’on appelle « la voix mixte », où ils vont être dans un de ces mécanismes tout en utilisant un moule résonantiel et des caractéristiques acoustiques propres à un autre mécanisme. Encore une fois, cette manœuvre ne répond pas à la physiologie « normale » de la phonation. Il existe deux types de voix mixtes : la voix mixte 1, qui correspond à l’utilisation du mécanisme 1 avec un moule résonantiel de mécanisme 2 – c’est, par exemple, le cas des ténors quand ils produisent des notes aiguës –; et mixte 2, où le mécanisme 2 s’accorde à un moule résonantiel de mécanisme 1 – les femmes dans les graves de leur voix. Il s’agira alors de ne pas se tromper de voie…

Si la production de la voix chantée est le résultat d’une machinerie physiologique bien réelle, nécessitant des années de pratique et une technique solide, il n’en demeure pas moins que ses effets sur l’auditeur revêtent un caractère merveilleux, qui en appelle à quelque chose de beaucoup moins objectif : notre sensibilité.

MAXIME PIERRE

Un article paru dans LYRIK n°3.

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