Chapelle Royale, 11 novembre
Première mise en scène d’opéra à s’intégrer dans l’espace sacré de la Chapelle Royale, David et Jonathas, « tragédie biblique » de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), sur un livret du Père Bretonneau, y trouve d’emblée ses aises.
Un ample dais couvre et découvre le maître-autel, devenu le temple/palais des rois d’Israël. Antoine et Roland Fontaine l’ont également pourvu d’un escalier symétrique et d’une estrade. Plus bas, à cour et à jardin, deux bancs accueillent les effusions sentimentales, mises en tableaux par Marshall Pynkoski. Le metteur en scène canadien s’est placé sous l’obédience de Simon Vouet et de Charles Le Brun. Les postures renvoient aux plafonds marouflés des Grands Appartements voisins et les costumes de Christian Lacroix possèdent la palette de l‘immense Repas chez Simon de Véronèse.
Le couturier français, revisitant les vêtures « Grand Siècle », retrouve le brio de ses années 1980. Rhingraves, cuirasses, chemises de pirate, gilets brodés et bottes donnent à chacun une sensuelle élégance. C’est le grand attrait de cette nouvelle production, à mi-chemin entre la boutique d’antiquaire façon Pier Luigi Pizzi et l’exigence référentielle d’un Benjamin Lazar.
L’action nous précipite dans un film de cape et d’épée, avec un Saül aux abois, courant par la travée jusqu’aux pieds de la Pythonisse multicolore. Les intonations acides de François-Olivier Jean lui apportent cynisme et sévérité. On songe aussitôt au timbre de René Jacobs dans l’intégrale, à ce jour inégalée, gravée par Michel Corboz (Erato, 1981).
La silhouette incroyablement ductile de David Witczak incarne un Saül shakespearien. Dommage que la gestuelle mette à mal son intelligibilité dans l’acoustique difficile de la Chapelle Royale. Parfait écrin des concerts statiques, le lieu est difficile pour les voix en mouvement, dont la projection se perd vite dans les travées, sauf à disposer d’un instrument exceptionnel, tel le solaire Reinoud Van Mechelen, incarnant un David à la fastueuse amplitude.
Le timbre blanc et enfantin de Caroline Arnaud endosse Jonathas, mais sa projection restreinte n’aide guère à la compréhension du texte. Antonin Rondepierre est davantage sonnant en Joabel fielleux. Virgile Ancely exprime un dévoué Achis et Geoffroy Buffière gronde l’Ombre de Samuel.
Les choristes de l’ensemble Marguerite Louise ont été scindés en deux : un petit chœur à huit, disposé sur scène, un grand chœur à vingt, rangé latéralement. Il s’en suit une spatialisation où l’art des masses sonores, appris à Rome par Marc-Antoine Charpentier, puis développé à la Sainte-Chapelle de Paris, déploie son intensité rhétorique.
La trentaine de pupitres de l’orchestre Marguerite Louise livre un son dense et moiré, à la pompe impeccablement abouchée. La direction très nerveuse de Gaétan Jarry forme l’écrin adéquat au propos subtil de Marshall Pynkoski, comme en témoigne la dernière image, superposant à la rutilante croix du maître-autel la vision d’un David crucifié par ses épreuves.
Jésus, issu de la lignée de David ; la théologie est respectée, ainsi que le message politique instillé par les Jésuites, dans cette œuvre faite pour édifier l’élite du collège « Louis le Grand », en 1688. Le pouvoir est bien cet art du sacrifice, dont Château de Versailles Spectacles – en coproduction avec le Festival Sanssouci de Potsdam (Musikfestspiele Potsdam Sanssouci) – a su brillamment restituer la force visuelle et l’intensité des émotions.
VINCENT BOREL