Opéras Rare Humperdinck à Amsterdam
Opéras

Rare Humperdinck à Amsterdam

07/11/2022
Monika Rittershaus

De Nationale Opera, 18 octobre 

Près d’un siècle sépare la création de Königskinder, au Metropolitan Opera de New York, le 28 décembre 1910, de sa première exécution en France, en 2005, dans le cadre du Festival de Radio France & Montpellier – actuel Festival Radio France Occitanie Montpellier –, lors d’un concert dirigé par Armin Jordan, avec un Jonas Kaufmann à l’orée de sa carrière internationale (CD Accord).

En aurait-il été autrement si Hänsel und Gretel (Weimar, 1893) avait joui, dans l’Hexagone, d’une aussi grande popularité que dans les pays germaniques et anglo-saxons ? Sans doute pas, car malgré quelques productions éparses, le deuxième « Märchenoper » à succès d’Engelbert Humperdinck est, et demeure, une rareté, pour ainsi dire depuis son triomphe initial.

La portée philosophique du livret, adapté de la pièce écrite par Elsa Bernstein-Porges, sous le pseudonyme d’Ernst Rosmer, à partir de plusieurs contes, son dénouement pessimiste, le destin même de l’écrivaine, déportée et survivante de Theresienstadt (Terezin), sa dimension prémonitoire, devraient pourtant lui assurer une place au répertoire. À l’instar de la partition, où l’assistant et disciple de Wagner finit, dans un troisième acte aux textures comme raréfiées, d’une tristesse aussi profonde que sereine, par sortir de l’ombre de son maître vénéré – alors même que Richard Strauss, de dix ans son cadet, venait de déchaîner tout le bruit et la fureur d’Elektra, dans la foulée de Salome.

La tragédie – car Königskinder en est une assurément, celle d’une société incapable de reconnaître la valeur et la noblesse de ces deux cœurs purs, lui, le Fils du roi, habillé en mendiant, elle, la Gardeuse d’oies, vivant à ses marges – prend, chez Humperdinck, des transparences qu’irisent ses emprunts au folklore. Pour se demander, peut-être, combien de temps encore durera l’innocence. 

C’est le fil que choisit de tirer Christof Loy au DNO d’Amsterdam, dans un spectacle d’une exemplaire simplicité, esthétique et dramaturgique. Un cyclo blanc, percé d’une petite porte, sert de cadre unique à la forêt du I et du III, comme au village du II, qui ont aussi en commun un tilleul. Le metteur en scène allemand a cette façon extrêmement sensible de rendre d’emblée attachants des personnages qu’il ne cantonne pas à des archétypes, avec lesquels l’ouvrage lui-même prend ses distances.

Dans le miroir de l’enfance, à laquelle il donne corps dans des séquences chorégraphiées, Christof Loy montre, se souvenant sans doute de Michael Haneke et de son Ruban blanc (Das weisse Band, 2009), que la cruauté peut être le revers de l’ingénuité. Quand le livret résume, en quelques lignes, les événements advenus entre les deux derniers actes, un film en noir et blanc met en images, à travers un jeu et des visages expressionnistes de cinéma muet, la haine qui s’abat sur le Ménétrier et la Sorcière, coupables d’avoir soutenu une vérité contraire aux apparences.

Dans la rudesse de l’hiver, que suggèrent les branches désormais nues du tilleul, au pied duquel prend fin leur errance, la mort du Fils du roi et de la Gardeuse d’oies atteint une plénitude mêlant une émotion vraie à un réconfort infiniment poétique, auquel les apparitions sur le plateau de la violoniste Camille Joubert, personnification de l’Amour, ne sont assurément pas étrangères.

Marc Albrecht dirige ce répertoire avec un naturel qui confère aux phrasés, comme aux sonorités, du Nederlands Philharmonisch Orkest, qu’il retrouve deux ans après en avoir quitté la tête, une suprême évidence. Et la distribution vocale se hisse, dans son ensemble, sur les mêmes hauteurs. Sans doute l’imposant Bûcheron de Sam Carl écrase-t-il un peu le Marchand de balais de Michael Pflumm, quand l’un et l’autre sont également méprisables.

Ainsi que le démontre sa Sorcière aux traits cinglants, Doris Soffel est, à 74 ans, un modèle de longévité. Et il convient de garder une oreille attentive sur l’évolution de carrière de Josef Wagner, Ménétrier dont l’enveloppante bonhomie n’exclut pas la sagesse, tant son étoffe est désormais taillée pour les grands emplois héroïques du répertoire allemand.

Depuis que Mozart et Wagner se partagent les faveurs de son ténor délicat, Daniel Behle accuse parfois une certaine sécheresse du timbre et de l’émission, dont son Fils du roi n’est, par conséquent, pas non plus exempt, tandis que la lumineuse et sensuelle Olga Kulchynska est, en Gardeuse d’oies, l’incarnation de la fraîcheur même.

MEHDI MAHDAVI


© Monika Rittershaus

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