Opéras Fedora en demi-teinte à Milan
Opéras

Fedora en demi-teinte à Milan

31/10/2022
Teatro alla Scala/Brescia/Amisano

Teatro alla Scala, 15 octobre

Incarnée par Maria Callas (1956) ou Mirella Freni (1993), Fedora a fait quelques beaux soirs, à la Scala de Milan. Baignant dans un goût « fin de siècle » que l’on peut juger dépassé, l’opéra d’Umberto Giordano (1898) n’en recèle pas moins des pages inspirées qui assurent l’adhésion du public, en plus d’offrir deux premiers rôles en or à des chanteurs en quête de gloire. Si faiblesse il y a, c’est plutôt du côté du drame : le livret d’Arturo Colautti, à force de raccourcis et d’ellipses, complique la lisibilité par rapport à la pièce originale de Victorien Sardou.

Pour cette nouvelle production milanaise, on pouvait espérer que Mario Martone, cinéaste familier du répertoire vériste et de Giordano (ayant déjà mis en scène, in loco, La cena delle beffe et Andrea Chénier), apporte une lecture à l’image de son art, originale sans prétention, rythmée sans surcharge. Hélas, le résultat est mince, par rapport aux attentes : un spectacle peu inspiré, aussi creux que le propos esquissé dans la note d’intention – se départir du plan naturaliste, au profit d’une vision abstraite.

Déjà, les décors et comparses, tout droit sortis de tableaux de Magritte (L’Empire des lumières pour la fête chez Fedora, au II ; Les Amants pour le récit du meurtre, toujours au II ; L’Assassin menacé pour le dénouement tragique, au III), ne permettent pas d’installer l’atmosphère onirique, surréaliste même, recherchée. Imposant une esthétique arbitrairement éloignée de l’œuvre, Mario Martone cherche à évoquer l’ombre fatale planant sur le destin des protagonistes. Mais c’est toute la spirale de tension et de suspens qui s’en trouve radicalement affaiblie : jamais le spectateur ne pénètre au cœur du drame, pourtant construit comme un thriller avant l’heure.

Pour ses débuts en Fedora, Sonya Yoncheva peine à convaincre, surtout si l’on considère l’adéquation, en principe idéale, de ses moyens de lirico spinto au profil du rôle. Le timbre est certes somptueux, rond, puissant, corsé, à peine plus fragile dans le grave. Mais la voix trahit une fatigue perceptible – quoique habilement dissimulée. Moins que le vibrato, généralement sous contrôle, ou quelques stridences dans l’aigu, c’est la gestion du souffle qui pose problème, compromettant galbe et tenue de la ligne.

D’autre part, l’incarnation n’est que sporadiquement à la hauteur du charisme réclamé par cette héroïne, à la fois féminine et hautaine, tendre et vindicative. De son entrée, débordante de sensualité, jusqu’à son élan tragique dans le finale, la soprano bulgare semble à la recherche d’une identité capable de faire vibrer le public – ce qui demanderait, au passage, une diction plus mordante et habitée.

Au contraire de Roberto Alagna qui, excellant dans l’art de la déclamation, prête aux passions dévorantes de Loris sa voix chaude et lumineuse, d’une puissance à toute épreuve, qui semble touchée par la grâce d’une jeunesse éternelle. Sa performance serait irréprochable, si Giordano ne le faisait pas commencer avec le célèbre « Amor ti vieta », rare concentré de difficultés vocales, en dépit de sa brièveté, où le ténor français accuse d’évidentes fêlures. Le public milanais ne lui en tient pas rigueur et l’applaudit chaleureusement, comme pour sceller une complicité enfin retrouvée.

Parmi les nombreux seconds rôles, d’un niveau très inégal, la meilleure surprise vient de la soprano italienne Serena Gamberoni, Olga subtile et élégante, bien plus à propos que le De Siriex, fade et ordinaire, du baryton roumain George Petean.

La palme revient à la direction de Marco Armiliato, qui réussit ses débuts à la Scala, en faisant preuve d’une rare sensibilité narrative. D’amples tempi et des contrastes maîtrisés assurent un traitement luxuriant des couleurs, dans le sillage du regretté Gianandrea Gavazzeni, grand défenseur de Fedora.

PAOLO PIRO


© Teatro alla Scala/Brescia/Amisano

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