Theater Basel, 16 octobre
On a déjà pu voir toutes sortes de mises en scène de Salome. Des esthétisantes (Romeo Castellucci), des inquiétantes (William Friedkin), des inutilement compliquées (Hans Neuenfels, Krzysztof Warlikowski), des carrément gore (Martin Kusej naguère, Lydia Steier en ce moment)… Mais une Salome aussi continuellement drôle que celle du réalisateur allemand Herbert Fritsch, à Bâle, en coproduction avec Lucerne et Mannheim, là, il s’agit d’un vrai précédent.
Certes, cet humour est particulier, grinçant, corrosif, irrévérencieux, mais, en tout cas, il fonctionne, le maître d’œuvre faisant vraiment feu de tout bois : un travail exceptionnel sur les attitudes et les mimiques, qui exploite impitoyablement tous les décalages, les ambiguïtés, voire les doubles sens psychanalytiques d’un livret souvent caustique.
Herodes et Herodias, couple de « parents » toxiques, sont les plus caricaturaux, mais tout le monde est mis en boîte, y compris même, au sens propre, Jochanaan, dont, à l’exception de son long duo avec Salome, seule la tête dépasse du plancher. Image tout à fait étonnante que cette tête vivante, bloquée au sol, centre de gravité d’un décor relativement réduit en surface, déjà métaphorique du macabre plateau d’argent final.
Un dispositif luxueusement bizarre : les deux trônes dorés et ventrus des souverains, les parois réfléchissantes, éclairées tantôt en bleu sombre ou en rouge, sous l’œil rond d’une énorme lune, les costumes surchargés de détails outranciers, taillés dans des tissus dont les reliefs brillants scintillent… et puis, en plein milieu, cette tête qui n’arrête pas de proférer des imprécations, que certains écoutent, et que d’autres préfèreraient ne pas entendre.
Sur cette aire de jeu réduite, la princesse Salome court et saute d’un endroit à l’autre, pieds nus. Un personnage insolite, habillé de rose bonbon, comme une poupée Barbie, et dont l’immaturité boudeuse paraît encore accentuée par le physique particulier de la soprano américaine Heather Engebretson, silhouette agile, de petite taille : bien davantage encore une enfant, très mal élevée, qu’une jeune femme fatale.
Au cours d’une « Danse des sept voiles » où elle ne se découvre pas d’un fil, la fillette paraît d’ailleurs vite à court d’inspiration, ne sachant plus quoi trop inventer pour pimenter la chose. Seul lui importe d’arriver à ses fins, avec, pour apothéose, une scène de nécrophilie d’une innocence totalement pervertie, et là, pour le coup, plus drôle du tout, où elle s’affaire longuement avec une tête humaine, comme d’autres pré-adolescents jouent encore avec un doudou en peluche dans leur lit.
Théâtralement acide, très affûtée, maintenant les personnages toujours proches d’un public qui peut en scruter toutes les mimiques, la soirée manque malheureusement de la puissance musicale qui la rendrait totalement efficace. La faute à une version pour effectif instrumental plus réduit, adaptation réalisée par Richard Strauss, lui-même, qui reste un modèle d’orchestration, mais manque par trop de poids.
Or, ce n’est pas la dimension de la fosse qui semble avoir dicté ce choix, mais bien le format vocal de la distribution. Soprano colorature, il n’y a pas encore si longtemps, Heather Engebretson a pris du volume et du tranchant, mais elle aurait quand même davantage de difficultés à se faire entendre dans un autre contexte, de même que Peter Tantsits et Jasmin Etezadzadeh, subtils, mais peu sonores, en Herodes et Herodias.
Seule la voix du Jochanaan du baryton américain Jason Cox paraît suffisamment bien projetée, mais, il est vrai, au ras du plancher. Mention particulière pour le Narraboth du ténor français Ronan Caillet et le Page de la mezzo ukrainienne Nataliia Kukhar, tous deux actuellement membres d’OperAvenir, l’opéra studio de la scène bâloise.
Direction sensuelle et, forcément, transparente du chef allemand Clemens Heil, mais qui, aux moments clés où il faudrait nous clouer sur place, ne peut que gonfler insuffisamment ses muscles, sans nous impressionner vraiment.
LAURENT BARTHEL