Opéras Semele coup de maître à Lille
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Semele coup de maître à Lille

27/10/2022
Simon Gosselin

Opéra, 13 octobre

Les remplacements au pied levé, s’ils font partie, sinon du quotidien des chanteurs, du moins des éventualités auxquelles ils doivent être prêts à faire face, sont une exception chez les metteurs en scène. En mai 2018, la défection, pour raisons de santé, de Laura Scozzi, une semaine après le début des répétitions de la nouvelle Semele, programmée au Komische Oper de Berlin, n’a cependant pas laissé à Barrie Kosky, alors directeur des lieux, d’autre choix, compatible avec l’urgence de la situation, que de reprendre le flambeau.

Tour de force, et coup de maître, tant la greffe est invisible à l’œil nu. Car il a bien fallu, pour que la production porte à ce point sa signature, non seulement théâtrale, mais aussi esthétique, que le très prolifique réalisateur australien s’approprie le superbe décor imaginé par Natacha Le Guen de Kerneizon.

Avait-il, à l’origine, cet aspect fuligineux, et même calciné ? Comme prisonnier d’une courbe aux hautes parois ravagée par les flammes, le funeste destin de Semele se trouve tout entier résumé par le motif répété d’une cheminée, surmontée d’un miroir : celui d’une mortelle brûlée vive au feu ardent de son divin amant Jupiter, à force de vanité, attisée par la jalousie d’une épouse délaissée, se vengeant presque, désormais, pour passer le temps.

Car la fille du roi Cadmus est, ici, tout sauf une péronnelle narcissique, au gazouillis enchanteur : elle tombe, victime tragique d’un entourage de comédie, dont l’aspiration à un amour absolu, marque d’une forme d’hubris, peut-être, ne peut se satisfaire d’un fiancé désespérément maladroit, en la personne d’Athamas, après lequel soupire, d’ailleurs, sa sœur Ino.

Ce contraste entre des personnages d’une touchante vérité et leurs antagonistes teintés de caricature, sans jamais y sombrer vraiment, produit un spectacle au rythme haletant – repris ici par David Merz –, qui rappelle Saul, cet autre monument de l’oratorio haendélien, monté par Barrie Kosky, en 2015, au Festival de Glyndebourne (DVD Opus Arte), puis présenté au Théâtre du Châtelet, en 2020.

Semele surgissant, au début de l’œuvre, du tas de cendres auquel son enveloppe humaine a été réduite par la vision de « Jupiter tonnant, dans la pompe de sa majesté et ses célestes atours », restera longuement gravée dans la mémoire, comme sa réapparition, tremblante et écorchée, après l’assouvissement de son fatal désir.

D’autant qu’Elsa Benoit – hier Poppea plutôt inoffensive, face à Joyce DiDonato, dans Agrippina (CD Erato, 2019) – prête à l’héroïne éponyme les reliefs d’une lumière charnue et d’un chant intense, dont l’expressivité n’est pas un instant éclipsée par une vaine démonstration de virtuosité, jusque dans les coloratures frénétiques de « No, no, I’ll take no less ».

L’émission très personnelle de Stuart Jackson, et la couleur plutôt nasale qui en découle, déroutent d’abord dans le rôle de Jupiter, où se sont illustrés des ténors aux sonorités plus melliflues. Et si l’agilité requise par « I must with speed amuse her » ne le prend pas en défaut, la coupure du da capo – bien moins frustrante que dans « Myself I shall adore » – lui permet de ménager ses ressources. Car ce dieu au physique de colosse, dont le « Where’er you walk », repris depuis les coulisses après l’entracte, suspend le temps sur le fil du timbre, laisse, comme il se doit, sourdre une très humaine fragilité.

Tempérament explosif et mezzo solidement ancré dans la poitrine, Ezgi Kutlu vocalise au hachoir une Juno stylistiquement peu orthodoxe, mais puissamment roborative, tandis que la soprano Emy Gazeilles lui sert, en Iris, de pimpant faire-valoir. Le long réveil brumeux de Somnus aura fait paraître Evan Hughes nettement moins bien doté que Joshua Bloom, dont la basse d’une retentissante noirceur proclame d’emblée l’autorité royale, pourtant contrariée, de Cadmus.

Accords parfaits, enfin, tant entre la longue silhouette et le ramage, aussi svelte que profond, de l’Ino de la mezzo-soprano Victoire Bunel, qu’entre le jeu virevoltant de l’Athamas de Paul-Antoine Bénos-Djian et l’époustouflante vélocité de son « Despair no more ». Le contre-ténor y confirme l’étendue de sa palette, aussi ardemment déployée dans la tonalité élégiaque de « Your tuneful voice ».

Sans doute le geste d’Emmanuelle Haïm est-il moins souple qu’énergique, conférant au dessin de la ligne une netteté plus architecturale que picturale, garante de la tension dramatique que la plateau appelle. En totale symbiose dans cet Opéra de Lille, où il est en résidence depuis près de vingt ans déjà, son ensemble instrumental et vocal Le Concert d’Astrée se couvre, une nouvelle fois, de gloire.

MEHDI MAHDAVI


© Simon Gosselin

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