Opéras Fluide Chevalier en Avignon
Opéras

Fluide Chevalier en Avignon

12/10/2022
© Mickaël & Cédric Studio Delestrade Avignon

Opéra, 7 octobre

Der Rosenkavalier met en scène, de manière mi-plaisante, mi-nostalgique, la rencontre de plusieurs mondes : celui de la dignité aristocratique, incarné par la Maréchale ; celui de l’arrivisme bourgeois, représenté par Faninal ; celui du dévoiement, à travers le comportement sans élégance du Baron Ochs.

Jean-Claude Berutti, dans cette nouvelle coproduction avec l’Opéra de Trèves (Theater Trier), va croissant : il se contente de faire évoluer la Maréchale et Octavian, à l’acte I, dans une chambre sans grâce, les deux personnages batifolant sans surprise du lit à la coiffeuse. Le II, chez Faninal, est plus inventif, avec ses trois panneaux coulissants évoquant un décor exotique, tel qu’on l’imaginait au XVIIIe siècle ; Octavian, Sophie et le Baron Ochs, vêtus comme à cette époque, alors que l’ensemble du spectacle se déroule dans des costumes d’aujourd’hui, apportent tout à coup de la fantaisie.

Au III, dans l’auberge, tout se déchaîne, avec une mascarade très réussie et, à la fin, un décor réduit à quelques ampoules, qui délimiteraient un vaste miroir déformé : celui de la coiffeuse de la Maréchale, peut-être, désormais orpheline de ses illusions. De temps à autre apparaissent, projetées sur le rideau ou sur la scène, les images du film muet Der Rosenkavalier, réalisé par Robert Wiene, en 1925 ; idée qui n’apporte rien, puisqu’il s’agit de la superposition des mêmes personnages, dans les mêmes situations psychologiques.

D’une manière générale, Jean-Claude Berutti travaille avec bonheur les scènes collectives, les différentes allées et venues, les moments d’animation, comme le duel de parodie entre Octavian et le Baron Ochs. Chacun des interprètes évoluant avec aisance, le spectacle acquiert une grande fluidité.

D’une haute stature, les gestes lents et distingués, Tineke Van Ingelgem est à la fois amante et mère, et c’est ce que lui demande Octavian. La soprano belge a dans la voix une douceur soyeuse, particulièrement convaincante dans les moments d’introspection, lorsqu’une poignée d’instruments s’interrogent avec elle sur le temps qui passe.

Remplaçant Violette Polchi, souffrante, la mezzo allemande Hanna Larissa Naujoks est, elle aussi, très à l’aise, le timbre plutôt léger pour Octavian, irrésistible d’ingénuité feinte, lorsqu’elle se travestit en Mariandel. La « Présentation de la rose », en revanche, n’atteint pas à la fusion idéale des voix, peut-être parce que Sheva Tehoval ne nous offre pas encore les aigus émerveillés de Sophie. La jeune soprano belge convainc davantage dans les scènes de révolte, et le trio final atteint à cette irisation qu’on attend du bouquet des trois voix enfin réunies.

Sans surprise scéniquement, Mischa Schelomianski choisit de ne pas être vocalement un butor, même s’il ne gomme rien de la trivialité du Baron Ochs. Il propose en maints endroits des nuances, des notes piano, un peu comme les remords d’un personnage qui aurait oublié ce qu’est le sentiment de la noblesse.

On aime le Faninal faussement déférent de Jean-Marc Salzmann, qui joue le bourgeois au bord de l’apoplexie, avec un sens comique très juste ; on aime aussi les nombreux  comprimari, silhouettés avec invention, de l’Annina d’Hélène Bernardy, tout droit sortie d’un opéra vériste, au Valzacchi de Kresimir Spicer, qui réussit le prodige d’être à la fois envahissant et insaisissable. Les membres du Chœur et de la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon sont entraînés dans le même mouvement.

Dans la fosse, Jochem Hochstenbach dirige un Orchestre National Avignon-Provence qu’on a rarement entendu aussi vif, onctueux, nuancé. Il utilise la version mise au point par Thomas Dorsch, en 2019, pour une formation adaptée aux fosses de taille moyenne ; les bois, notamment, sont moins nombreux que de coutume, ce qui n’en fait pas pour autant un orchestre mozartien, et le tuba est à sa place.

L’ensemble sonne assez volumineux, notamment au début du I, et il faut attendre l’arrivée du Baron Ochs, pour que l’orchestre et le plateau trouvent un équilibre qui ne sera plus mis en péril de toute la soirée. Une soirée dont le profil, à mesure qu’elle se déroule, se dessine et prend corps devant nous.

CHRISTIAN WASSELIN


© Mickaël & Cédric Studio Delestrade Avignon

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