Grand Théâtre, 30 septembre
Pour l’ouverture de sa saison, l’Opéra de Tours reprend la production créée à Lausanne, au printemps dernier (voir O. M. n° 184 p. 46 de juillet-août 2022), mais cette fois dans la version pour un Werther baryton.
Quelques mois après le succès de la création viennoise, en 1892, lorsque fut venu le temps d’envisager la première française de Werther, à l’Opéra-Comique, Massenet fut long à trouver son interprète principal. Lassé de chercher, il aurait envisagé de « pointer » le rôle pour un baryton : Victor Maurel, qui allait bientôt être le premier Falstaff, à Milan. In extremis, le compositeur trouva le ténor Guillaume Ibos, qui incarna Werther, en 1893, mais quand le grand Mattia Battistini le lui demanda, en 1902, il adapta le rôle à son intention.
Déjà servie, entre autres, par Thomas Hampson (DVD Virgin Classics/Erato, 2004), Ludovic Tézier et Etienne Dupuis, cette version est ici interprétée par Régis Mengus, qui s’en tire noblement, campant un Werther extrêmement tourmenté, parfois brutal même, avec une virilité de ton peu commune. Certaines zones de la tessiture, vers le haut médium, ou dans les nuances piano, souffrent cependant d’un vibrato trop prononcé.
Depuis Lausanne, Héloïse Mas a mûri son interprétation de Charlotte, s’affirmant avec encore plus d’assurance, libérant toute sa puissance et incarnant vraiment la complexité de son personnage, aussi tourmenté que celui de Werther. Elle fait face courageusement aux propositions de la mise en scène, lui imposant de passer l’essentiel des deux derniers actes allongée, voire quasiment prostrée sous le clavecin, mais cela ne semble pas avoir d’incidence sur la qualité de son chant.
La Sophie de Marie Lys nous séduit toujours autant. Vocalement irréprochable, elle invente un vrai personnage drôle, empathique, un peu rebelle. Mikhail Timoshenko renouvelle, lui aussi, son excellent Albert. Franck Leguérinel campe un Bailli un peu (trop) excentrique, mais on apprécie sa prononciation parfaite.
Vincent Boussard a fait de Schmidt et Johann, fort bien défendus par Antonel Boldan et Mikhael Piccone, deux joyeux lurons de comédie musicale. Pourquoi pas, puisque le répertoire de l’Opéra-Comique conservait, même dans les scénarios les plus tragiques, quelques moments de franche gaieté ? Nous ne reviendrons pas sur la mise en scène, réussie pour la direction d’acteurs, mais qui propose un dernier acte pour le moins… déconcertant.
À la tête de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours, qu’il façonne depuis deux ans et qui a atteint un niveau très élevé, Laurent Campellone réalise un travail extraordinaire de précision, et même de modernité. Avec lui, l’instrumentation de Massenet, fouillée, complexe, annonce clairement le XXe siècle, avec ses éruptions sonores et ses ruptures de ton, mais aussi sa sensualité.
JACQUES BONNAURE