Opernhaus, 21 septembre
Inutile d’être devin pour pouvoir affirmer, au terme de la première Journée de ce nouveau Ring, entamé au printemps dernier (voir O. M. n° 184 p. 65 de juillet-août 2022), qu’il restera d’abord dans les mémoires grâce à Gianandrea Noseda, qui aura davantage imprimé sa marque sur la maison zurichoise, en quelques mois, que Fabio Luisi, son prédécesseur au poste de directeur musical, en neuf ans…
Puisque le chef italien maintient, dans Die Walküre, le cap fixé dans Das Rheingold, le lecteur voudra bien nous pardonner d’employer, peu ou prou, les mêmes termes pour louer la vigueur quasi verdienne de l’articulation, la profondeur de la sonorité, la vivacité de la pulsation et, une fois encore, le souci permanent de l’équilibre entre l’orchestre (Philharmonia Zürich) et les voix, que les dimensions du théâtre ont rendu précaire en bien d’autres occasions.
Sans doute l’esprit de troupe qui soufflait sur la distribution du Prologue n’est-il plus vraiment au rendez-vous – l’œuvre, certes, est ainsi faite, qui privilégie les individualités. Reconduits d’un épisode au suivant, Patricia Bardon et Tomasz Konieczny confirment les qualités – dominantes chez lui – et les défauts – patents chez elle – de leur couple divin.
L’allure de Patricia Bardon ne peut plus compenser, dans leur face-à-face, un mezzo placé plus bas que la tessiture ne l’exige, et qui dilue les contours de son portrait de Fricka. Tomasz Konieczny est son absolu contraire, baryton-basse tout en noirceur et éclat, gorgé d’harmoniques, mordant les mots, au point, parfois, d’oublier que Wotan chante aussi, même s’il retrouve, après un abus de parlando – qui peut-être témoigne d’un léger manque d’endurance –, un semblant de ligne pour des « Adieux » supérieurement sentis.
Parmi les nouveaux venus, tous en prise de rôle, il faut d’abord distinguer Christof Fischesser, Hunding d’emblée de féroce tradition. Le premier Siegmund d’Eric Cutler démontre les vertus d’un instrument clair, mais d’un format idoine, y compris dans le bas de la tessiture, et d’un legato d’école italienne. Le personnage, en revanche, reste en deçà de l’élan viscéral qui habitait le Peter Grimes du ténor américain, au Theater an der Wien, la saison passée. Daniela Köhler n’est, il est vrai, guère stimulante en Sieglinde, aux moyens conséquents, mais sans charme, ni jeunesse.
Pour Camilla Nylund, l’aventure de Brünnhilde ne fait que commencer. Son soprano blond y prend ses marques non sans prudence, et avec l’avantage d’une souplesse à laquelle nombre de ses devancières, au format bulldozer, ne pouvaient prétendre. La fille préférée de Wotan y gagne une fraîcheur, une noblesse, qui promettent beaucoup pour les volets suivants, en laissant pour l’heure admiratif, mais un peu froid.
Les murs et moulures immaculés du décor sur tournette de Christian Schmidt, repris tels quels de l’épisode précédent, pourraient l’être aussi, si Andreas Homoki n’animait pas l’espace avec cette littéralité décomplexée qui fait tout le prix de sa lecture. Tronc d’arbre, forêt enneigée, rocher embrasé, et des Walkyries portant casque – en forme de tête de cheval –, lance et bouclier, lors d’une « Chevauchée » façon pyjama party : oui, cette imagerie peut encore fonctionner sans sombrer dans la ringardise.
Parce que le metteur en scène allemand façonne des êtres de chair et de sang, en particulier un Wotan humain, trop humain, qui passe, à travers un langage corporel très contemporain, d’une insouciance surjouée aux affres du remords, alors que sa propre lance tue son fils. Et comme il s’effondre soudain, quand Brünnhilde le perce à jour. La suite, vite !
MEHDI MAHDAVI