Interview Alexis Kossenko : « Faisons confiance au génie...
Interview

Alexis Kossenko : « Faisons confiance au génie de Rameau » 

11/10/2022
© Aurélie Remy

Flûtiste devenu chef, Alexis Kossenko s’est imposé comme le successeur naturel du regretté Jean-Claude Malgoire, dont il a « marié » l’ensemble pionnier avec son propre orchestre. Après Achante et Céphise, Les Ambassandeurs-La Grande Écurie poursuivent leur entreprise de résurrection ramiste avec Zoroastre, dont la version de 1749, inédite au disque, paraît chez Alpha.

Vous avez pris, en 2019, la tête de La Grande Écurie et la Chambre du Roy…

J’ai une longue et belle histoire avec cet ensemble, d’abord en tant que flûtiste, puisque c’est l’un des tout premiers avec lesquels j’ai joué à ma sortie du Conservatoire. Jean-Claude Malgoire faisait énormément confiance aux jeunes musiciens – instrumentistes ou chanteurs –, leur mettant d’emblée le pied à l’étrier, et il m’a engagé comme piccolo solo dans la Symphonie n°9 de Beethoven. Je suis revenu ensuite très régulièrement, pour toutes sortes de répertoires, et toujours avec grand plaisir. Jusqu’à cet ultime Pelléas et Mélisande, donné peu avant la disparition brutale de Jean-Claude, le 14 avril 2018. Il a alors fallu trouver lui trouver des remplaçants pour les projets déjà programmés, et on a fait appel à moi, parmi d’autres. Quand les musiciens m’ont demandé de devenir leur directeur musical permanent, cela m’a beaucoup touché. Il m’a semblé primordial de respecter l’héritage de cet ensemble fondé en 1966, et pionnier dans l’interprétation de la musique ancienne, notamment française. Mais Jean-Claude, on l’oublie trop, a ensuite eu à cœur d’embrasser un répertoire beaucoup plus large que le baroque, ce en quoi je me reconnais complètement : quel plaisir de diriger L’Étoile de Chabrier, à l’Atelier Lyrique de Tourcoing, en 2020 !


Les Ambassadeurs-La Grande Écurie, le Chœur de Chambre de Namur, les solistes de Zoroastre et Alexis Kossenko au Grand Manège de Namur © Gabriel Balaguera

En 2021, vous avez fusionné La Grande Écurie et la Chambre du Roy avec votre propre ensemble, Les Ambassadeurs…

J’ai fondé Les Ambassadeurs en 2011, et il m’a semblé important de ne pas noyer mon propre bébé, et de pouvoir continuer à le faire grandir. J’ai alors décidé de marier les deux ensembles – un pari un peu fou, puisque chacun jouissait déjà d’une belle notoriété –, sous le nom de Les Ambassadeurs-La Grande Écurie, ce qui a d’ailleurs été facilité par le fait que certains musiciens faisaient déjà partie des deux. Cette union permet d’être mieux armé face aux tutelles et aux sponsors, et aussi d’envisager de plus grands projets, tant à la scène qu’au concert et au disque. Par ailleurs, alors que Jean-Claude était à la tête de son orchestre, mais aussi de l’Atelier Lyrique de Tourcoing, les deux structures se sont dissociées à sa mort, la seconde étant désormais dirigée par François-Xavier Roth. La saison de l’Atelier Lyrique de Tourcoing se partage donc désormais, à parts égales, entre Les Siècles, la formation qu’il a créée, Les Ambassadeurs-La Grande Écurie, et enfin des ensembles invités. Une belle diversité !

Votre enregistrement de Zoroastre de Rameau paraît chez Alpha. Pourquoi le choix de la version de 1749 ?

Ce choix s’est imposé naturellement, car seule la seconde version de 1756 avait été enregistrée jusqu’à présent. Il a été tenu pour acquis que cette refonte était forcément meilleure. Et de toute façon, le manuscrit de 1749 était perdu. Grâce au travail de Graham Sadler pour l’édition Opera omnia Rameau, il est aujourd’hui possible de faire entendre la mouture originale. On a beaucoup dit que la création de 1749 avait été un échec : c’est faux ! Ce ne fut certes pas le plus éclatant succès de Rameau, mais l’œuvre connut tout de même vingt-cinq représentations. Bien sûr, le livret a pu déranger, parce qu’il met au centre le combat du Bien et du Mal, en reléguant au second plan les intrigues amoureuses. De même que l’absence de prologue, pour la première fois dans l’histoire de la tragédie lyrique. 

La partition foisonne d’audaces, tant du point de vue de l’orchestration et de l’harmonie, que dans la conduite dramatique. Alexis Kossenko

Quelles sont les différences entre les deux versions ?

Elles sont considérables, Rameau ayant demandé à Cahusac de remanier complètement son livret. En 1756, certains personnages disparaissent – Abénis, dont certains airs sont récupérés par le rôle-titre –, d’autres sont ajoutés, comme Narbanor, et d’autres encore, étoffés, notamment Érinice. Ce sont donc vraiment deux œuvres différentes. Mais faisons confiance au génie de Rameau : tout ce qu’il a écrit mérite d’être considéré avec sérieux, et pour moi, la version de 1749 n’est en rien inférieure. D’autant que la partition foisonne d’audaces, tant du point de vue de l’orchestration – avec, en particulier, l’emploi, pour la première fois, de deux clarinettes –, et de l’harmonie, que dans la conduite dramatique, avec des tuilages où des personnages se coupent la parole. On comprend que, décontenancé, le public ait pu faire, la même année, un triomphe au bien plus consensuel Carnaval du Parnasse de Mondonville, que nous donnerons d’ailleurs en mars prochain, toujours dans le cadre de notre résidence au Centre de musique baroque de Versailles. Quant à la distribution, elle est luxueuse, avec des habitués du CMBV : chez les femmes, la voix légère de Jodie Devos en Amélite contraste avec le timbre corsé de Véronique Gens, pour la méchante Érinice. Nous avons mis face à face le Zoroastre de Reinoud Van Mechelen et l’Abénis de Mathias Vidal, deux éminentes hautes-contre à la française. Tassis Christoyannis apporte son autorité au maléfique Abramane, mais il ne faut pas non plus négliger les multiples rôles portés par David Witczak.


Reinoud Van Mechelen enregistrant le rôle-titre de Zoroastre en concert au Grand Manège de Namur © Gabriel Balaguera

Pour ce Zoroastre, vous entamez une collaboration avec le Chœur de Chambre de Namur…

C’est une grande chance de pouvoir s’appuyer, selon les projets, sur deux excellents chœurs : d’une part les Chantres du CMBV, avec lesquels nous avons gravé Achante et Céphise de Rameau, et d’autre part le Chœur de Chambre de Namur, pour le présent Zoroastre – et, l’an prochain, dans Le Carnaval du Parnasse de Mondonville. Travailler avec nos voisins belges permet de développer notre activité géographiquement, mais aussi d’utiliser les superbes installations du CAV&MA (Centre d’Art Vocal et de Musique Ancienne) de Namur, en particulier le Grand Manège, salle remarquable pour les concerts, mais aussi les enregistrements. Hors du baroque, Les Ambassadeurs-La Grande Écurie initie également un cycle Mendelssohn, dont nous enregistrerons toutes le symphonies, mais aussi Die erste Walpurgisnacht (La première nuit de Walpurgis), ainsi que les oratorios, de nouveau avec le Chœur de Chambre de Namur. Pour un ensemble né il y a deux ans à peine, les projets ne manquent pas !

Propos recuillis par THIERRY GUYENNE

À écouter :

Zoroastre de Jean-Philippe Rameau, avec le Chœur de Chambre de Namur, Les Ambassadeurs-La Grande Écurie, Reinoud Van Mechelen (Zoroastre), Tassis Christoyannis (Abramane), Jodie Devos (Amélite), Véronique Gens (Érinice), David Witczak (Zopire, Ahriman, un Génie, la Vengeance), Matthias Vidal (Abénis, Orosmade, une Furie) et Gwendoline Blondeel (Céphie, Cénide), sous la direction d’Alexis Kossenko. 
Alpha 891.

En concert au Théâtre Impérial de Compiègne, le 14 octobre 2022, et au Théâtre des Champs-Élysées, le 16 octobre 2022.

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