Opera House, 28 août
Il n’est pas si fréquent de proposer, sur la même affiche, La Voix humaine et Les Mamelles de Tirésias. Glyndebourne a choisi de les réunir dans la perspective d’un cycle dédié à Poulenc, qui aurait dû commencer, en 2020, avec Dialogues des Carmélites (la production de Barrie Kosky a finalement été reportée à 2023), et les a confiés à Laurent Pelly, dont le public du Festival avait apprécié le diptyque ravélien (L’Heure espagnole/L’Enfant et les sortilèges). Dans les décors épurés de Caroline Ginet et par un habile système de panneaux coulissants (La Voix humaine), puis de tirettes (Les Mamelles de Tirésias), le metteur en scène français réussit même à créer, cerise sur le gâteau, un cousinage discret entre les deux ouvrages.
Stéphanie d’Oustrac incarne Elle. De toute sa voix – le mezzo chaud et puissant que l’on connaît, pour les parties chantées, un registre plus aigu, exprimant la fragilité et le doute, pour les moments parlés –, mais aussi de tout son corps. On la découvre au rideau, couchée en position presque fœtale, sa chevelure défaite cachant son visage, comme si elle était le prolongement de sa robe. Lovée au téléphone, dont on n’aperçoit d’abord que le fil, qui semble la retenir, comme liée à ce grand rectangle incliné, au centre du plateau, qui est, tout à la fois, lit, prison et scène.
Pas d’autres décors, sauf à considérer comme tels les panneaux coulissants qui, latéralement et en hauteur, ouvrent ou referment l’espace, comme l’objectif d’un appareil photo. Dans ce parti pris de sobriété, l’extraordinaire talent de Stéphanie d’Oustrac sert idéalement le texte de Cocteau. Le drame est pudique, mais intense, d’autant que Robin Ticciati excelle à tirer du London Philharmonic des sonorités fruitées, qui sont autant de touches de couleurs pastel dans le noir ambiant.
Les couleurs vont éclater avec Les Mamelles de Tirésias. Le lever de rideau révèle un nouveau plan incliné, blanc, cette fois et, surtout, bien plus grand, partant de la rampe et remontant jusqu’en haut du mur de fond de scène, entre feuille de papier vierge et tremplin de saut à ski. Un immense drapé tombe et, tendu, devient lit conjugal.
La partie basse de l’espace est divisée en languettes, que l’on tire vers cour ou jardin et repousse ensuite, pour y faire apparaître les personnages qui vont interagir avec le couple : elle (éblouissante Elsa Benoit), Thérèse façon Baba dans The Rake’s Progress, et lui (formidable Régis Mengus), Mari façon Freddie Mercury dans I Want to Break Free. À chacun correspond une couleur vive, appliquée de la tête aux pieds, ce qui donne un résultat joyeusement délirant, mais d’une grande beauté visuelle. L’espace restera vierge de tout autre décor – sauf, pendant dix minutes, une immense étagère, peuplée d’objets divers.
Fidèle à son habitude, Laurent Pelly trace sa direction d’acteurs au millimètre près, non seulement pour les solistes, mais aussi pour les chœurs, dont les mouvements et mimiques contribuent substantiellement au burlesque poétique ambiant.
La direction de Robin Ticciati est, à nouveau, admirable de précision et de verve, et le reste de l’excellente distribution, presque entièrement francophone, garantit l’intelligibilité du texte : dans cette soirée en miroir, Apollinaire est aussi bien loti que Cocteau.
NICOLAS BLANMONT