Opéras Aida de luxe à Vérone
Opéras

Aida de luxe à Vérone

06/09/2022
Yusif Eyvazov et Anna Netrebko. © Ennevi Foto

Arena, 8 juillet

En mars dernier, au moment où la carrière d’Anna Netrebko semblait compromise par une déclaration sur la guerre en Ukraine jugée « inopportune », la cantatrice d’origine russe avait aussitôt reçu le soutien de Cecilia Gasdia, directrice générale et artistique de l’Arena di Verona, avec un vœu : que la diva, quoi qu’il arrive, participe à cette 99e édition du plus ancien festival lyrique d’Italie, pour une fois sans aucune nouvelle production à l’affiche.

Les vents contraires s’étant relativement apaisés, du moins de ce côté de l’Atlantique, Anna Netrebko fait donc son retour sur la scène de l’amphithéâtre, en endossant les habits d’Aida – et un maquillage intégral. Devant un public nombreux et enthousiaste, l’artiste affiche une forme olympique, débordant de charme et de charisme.

Insistant sur le caractère lyrique de l’héroïne, abordée à Salzbourg, en 2017, elle fait valoir toutes les qualités de son soprano envoûtant, capable de mille nuances et de ces sons filés qui semblent suspendre le temps. On regrette, certes, quelques écarts de justesse dans l’aigu. Mais peu importe, quand la présence est aussi magnétique, le phrasé aussi vibrant, le chant sur le souffle aussi subjuguant.

Le miracle de la prière « Numi, pietà » se renouvelle dans l’air « du Nil », où cette voix de velours flotte sur le silence irréel et quasi religieux des 8 000 spectateurs. Sans compter l’empathie dont l’artiste, à l’abri de toute vanité narcissique, fait preuve dans l’interaction avec ses partenaires.

À commencer par Yusif Eyvazov, offrant, aux côtés de son épouse, l’un des plus beaux moments de la soirée dans le duo entre Radamès et Aida, à l’acte III. Certes moins gâtée par la nature, la voix du ténor azerbaïdjanais fait presque oublier ses aspérités par une diction parfaite et une infatigable vaillance.

Clémentine Margaine a considérablement mûri son approche d’Amneris, depuis ses débuts dans le rôle, à Barcelone, il y a deux ans. La mezzo française campe une princesse sournoise et passionnée, aussi fière que subtile, pas moins amoureuse meurtrie que tigresse rongée par la jalousie.

Le reste de la distribution se situe quelques crans en dessous, y compris Ambrogio Maestri, Amonasro moins stylé que mordant, avec une tendance à tout miser sur l’articulation, au détriment de la ligne. Le Ramfis de Günther Groissböck peine à imposer son autorité et Romano Dal Zovo affiche, dans le Roi, un vibrato tout sauf noble.

Dans la fosse, Marco Armiliato réussit le plus difficile : servir les chanteurs et tenir les rênes, face à un plateau gigantesque. Cela ne va pas sans quelques décalages, ni une certaine raideur du geste, mais notre plus grand regret concerne les couleurs orchestrales, souvent dépourvues d’éclat ou de poésie. Comptant sur des chœurs irréprochables, le chef italien assure, tout de même, une bonne pulsation narrative, dans le sillage d’une solide tradition.

Une lecture au diapason de la mise en scène, énième reprise de la production de Franco Zeffirelli (1923-2019), créée in loco, en 2002, puisant dans ses manières baroques et les clichés d’une Égypte en carton-pâte. Une immense pyramide de barres métalliques trône au milieu du plateau, entourée de statues géantes, tout droit sorties d’un musée archéologique. Les figures censément sauvages des danseurs le disputent aux gestes convenus des chanteurs, le tout dans une vision surannée, tirant parfois vers le kitsch.

En même temps, comment ne pas reconnaître ce qui assure le succès de cette production, à chacune de ses reprises, à savoir sa parfaite adéquation à ce lieu, archaïque et minéral, que l’on croirait taillé sur mesure pour elle ?

PAOLO PIRO


Yusif Eyvazov et Anna Netrebko. © Ennevi Foto

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