Les cinq questions d'Opéra Magazine Huw Montague Rendall :  « Papageno est un...
Les cinq questions d'Opéra Magazine

Huw Montague Rendall :  « Papageno est un prolongement de moi-même »

06/09/2022
© Alecsandra Dragoi

Nom de la mère : Diana Montague. Nom du père : David Rendall. Elle, mezzo-soprano. Lui, ténor. En plaçant sa jeune carrière sour leur double protection, leur fils Huw a embrassé sa vocation, plutôt tardive, d’enfant de la balle. Le baryton anglais, dont le premier Pelléas, retransmis en direct depuis l’Opéra de Rouen en janvier 2021, a fait sensation, débute à l’Opéra de Paris dans Die Zauberflöte de Mozart, et retrouvera Papageno, son rôle fétiche assurément, en décembre à l’Opéra du Rhin. 

Avez-vous des habitudes, un rituel avant d’entrer en scène ?

Je n’ai pas de rituel particulier. Les jours de spectacle, je me lève un peu quand je veux – évidemment plus tôt pour une matinée. J’arrive au théâtre une heure avant le maquillage, pour pouvoir rester au calme dans ma loge, faire des étirements, une demi-heure d’exercices vocaux, revoir la partition, les notes de scène et, dans le cas de Papageno, les dialogues parlés qui constituent une grande part du rôle, et varient toujours un peu d’une production à l’autre, ce qui est très piégeux. Je fais aussi le tour des collègues si j’ai des moments spéciaux à partager avec eux, pour être bien d’accord sur certains détails. Enfin, pour évacuer le trac, juste avant d’entrer en scène, je me mets face à un mur que je pousse de toutes mes forces, puis que je relâche tout d’un coup : ainsi, je me sens prêt à 100% physiquement pour commencer !

Huw Montague Rendall (Papageno) dans Die Zauberflöte de Mozart au Covent Garden de Londres © ROH 2021 / Bill Cooper

De quel rôle de votre répertoire vous sentez-vous le plus proche ?

Papageno, sans aucun doute. Au point que je le ressens comme une sorte de prolongement de moi-même. C’est une personne normale, que l’on pourrait croiser dans la vraie vie : ses goût sont simples, il est direct, dit ce qu’il pense, fait ce dont il a envie. Et si jamais on le force à faire quelque chose, il s’en acquitte en râlant. Autrement, il est constamment de bonne humeur, prend tout à la rigolade, et arrive toujours à placer un bon mot. Je crois avoir pas mal de points communs avec lui, car dans ma fratrie, je suis le petit dernier, celui qui aime toujours  plaisanter. Doté d’un grand capital de sympathie auprès du public, Papageno permet aussi à l’interprète toute une palette de couleurs et d’expressions. C’est déjà ma quatrième production de Die Zauberflöte, et je ne me lasse pas de ce personnage, qui m’a permis de faire mes débuts dans des lieux importants comme, la saison passée, le Covent Garden de Londres et le Lyric Opera de Chicago. Et maintenant l’Opéra de Paris, avant l’Opéra National du Rhin en décembre. J’avoue ne pas être peu fier d’occuper, à l’Opéra Bastille, la même loge que Bryn Terfel, qui chante en ce moment Scarpia dans Tosca de Puccini : je me souviens comme si c’était hier de cette montagne débarquant dans la loge de ma mère pour la saluer, quand ils faisaient ensemble Falstaff au Covent Garden, en 1999. J’étais encore tout gamin… Tout comme je suis fier d’utiliser aujourd’hui la partition de mon père, qui était Tamino ici-même, dans la production de Robert Wilson voici trente ans !

Si j’avais eu une autre voix, j’aurais aimé chanter Idomeneo ou Tito, voire Sesto – comme par hasard, des rôles tenus par mes parents ! Huw Montague Rendall

Quel est votre plus grand réconfort après une représentation physiquement et   émotionnellement exigeante ?

Peut-être ne devrais-je pas le dire, mais je suis quelqu’un de très tactile, un vrai hugger, et en sortant de scène, il est très important pour moi de pouvoir donner l’accolade à tous ceux avec qui j’ai partagé l’aventure de la représentation. Au cours des répétitions, puis des spectacles, mes partenaires finissent par devenir une seconde famille. J’appelle aussi immédiatement ma vraie famille, mes parents et mes frère et sœur, pour leur dire comment la soirée s’est passée. Puis, j’ai tendance à me précipiter sur de la nourriture, ou sur une bonne bière : c’est mon côté Papageno ! Mais après un rôle difficile et aussi lourd, vocalement et émotionnellement, que Pelléas, j’ai besoin de moments de silence et de calme dans ma loge, comme un sas avant de retourner à la vraie vie. Le fait est qu’un tel personnage se nourrit de vous, au point de prendre peu à peu possession de votre être, et de ne pas vous lâcher au baisser de rideau. Ma mère me racontait que lorsqu’elle chantait Iphigénie en Tauride de Gluck, cette figure tragique la hantait véritablement des jours avant le spectacle. J’ai éprouvé cette sensation avec Pelléas, et je crois que ce sera aussi le cas avec l’Hamlet de Thomas, que je suis en train d’étudier, et que j’aborderai en fin de saison au Komische Oper de Berlin.

Adèle Charvet (Mélisande) et Huw Montague Rendall (Pelléas) dans Pelléas et Mélisande de Debussy à l’Opéra de Rouen Normandie © Arnaud Bertereau

À la création de quel opéra auriez-vous aimé assister ?

N’importe quel opéra de Mozart ! Il est mon Dieu – et j’ai la chance que sa musique convienne à ma voix. J’ai d’ailleurs son buste sur mon piano, et quand je travaille un de ses rôles – j’ai déjà fait Papageno, mais aussi le Comte des Nozze di Figaro, Guglielmo dans Così fan tutte, et bientôt Don Giovanni –, j’ai tendance à me tourner de temps en temps vers lui pour demander  : « C’est juste, c’est bien ce que tu veux ? » Sa musique devait sembler incroyablement novatrice aux oreilles de l’époque, et j’essaie d’imaginer l’ambiance de toute ces premières. Notamment celle de Don Giovanni à Prague, ou encore de Die Zauberflöte à Vienne, dans le théâtre de Schikaneder, qui était aussi l’auteur du livret et l’interprète de Papageno. D’ailleurs, si j’avais eu une autre voix, j’aurais aimé chanter Idomeneo ou Tito, voire Sesto – comme par hasard, des rôles tenus par mes parents ! Mais récemment, en mettant les pieds pour la première fois à l’Opéra Comique, pour un concert de gala, j’ai ressenti des vibrations incroyables à me trouver dans les murs où avait été créé Pelléas et Mélisande de Debussy. Là encore, quelle claque cela a dû être pour le public, d’entendre cette musique qui ne ressemblait à rien de connu. J’aurais vraiment voulu être là le 30 avril 1902 !

Quel est le timbre – vocal ou instrumental – qui vous émeut aux larmes ?

Je suis particulièrement sensible au timbre du violoncelle en général. Et je me souviens d’avoir été bouleversé par des détails d’orchestration d’une symphonie de Tchaïkovski, en l’écoutant dirigée par Riccardo Muti en concert. Pour ce qui est de  la voix, certains passages choraux peuvent aussi me toucher au cœur, en me faisant venir les larmes sans prévenir. Cela m’est arrivé récemment lors de la tournée avec Raphaël Pichon de la trilogie Christus de Bach, où étaient donnés en trois soirées l’Oratorio de Noël, la Passion selon sait Jean et l’Oratorio de Pâques. J’interprétais le Christ, et régulièrement, le son du chœur m’enveloppait, moi qui étais sur scène, avec une telle beauté et intensité que je devais me faire violence pour ne pas me laisser submerger par l’émotion. Car pleurer aurait été incompatible avec le fait de chanter.

Propos recueillis par THIERRY GUYENNE

À voir :

Die Zauberflöte de Wolfgang Amadeus Mozart, avec René Pape (Sarastro), Mauro Peter / Pavel Petrov (Tamino), Martin Gantner (Sprecher), Caroline Wettergreen (Königin der Nacht), Pretty Yende / Christian Karg (Pamina), Huw Montague Rendall (Papageno), Tamara Bounazou (Papagena) et Michael Colvin (Monostatos), sous la direction d’Antonello Manacorda, et dans une mise en scène de Robert Carsen, à l’Opéra National de Paris, du 17 septembre au 19 octobre 2022 (et jusqu’au 19 novembre avec une autre distribution).

Die Zauberflöte de Wolfgang Amadeus Mozart, avec Nikolaï Elsberg (Sarastro), Eric Ferring (Tamino), Manuel Walser (Sprecher), Svetlana Moskalenko (Königin der Nacht), Lenneke Ruiten (Pamina), Huw Montague Rendall (Papageno), Elisabeth Boudreault (Papagena), Peter Kirk (Monostatos), et une autre distribution en alternance, sous la direction d’Andreas Spering, et dans une mise en scène de Johanny Bert, à l’Opéra National du Rhin, du 8 décembre au 8 janvier.

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