Haus für Mozart, 4 août
Présentée d’abord au Festival de Pentecôte (Pfingstfestspiele), au mois de juin, cette nouvelle production d’Il barbiere di Siviglia fait événement à plusieurs titres. Parce qu’il s’agit, étonnamment, de la première reprise de l’œuvre à Salzbourg, depuis la légendaire production de Jean-Pierre Ponnelle et Claudio Abbado, en 1968. Parce que Cecilia Bartoli retrouve le rôle fétiche de ses débuts dans la carrière. Parce que Gianluca Capuano a procédé à une révision drastique de la partition, en remontant aux sources.
Dans sa mise en scène, Rolando Villazon a pris le parti risqué d’imaginer l’ensemble comme la projection fantasmée d’un réalisateur de cinéma, qui voit son idole de films des années 1930 descendre de l’écran pour prendre vie sur le plateau – avec, pour modèles avoués, Sherlock Junior (Sherlock, Jr., 1924) de Buster Keaton et La Rose pourpre du Caire (The Purple Rose of Cairo, 1985) de Woody Allen, qui s’en inspirait largement. Et avec l’aide de l’extraordinaire acteur mime Arturo Brachetti, Fregoli des temps modernes, dans le personnage ajouté d’Arnoldo, qui ne cesse de s’insérer dans l’action avec une habileté diabolique, pour des moments souvent d’une extrême drôlerie.
Le brillant décor d’Harald B. Thor pose deux grands praticables, en façade de salle de cinéma « Art déco », qui s’ouvrent pour laisser entrer une élégante cage, où Rosina est sur une balançoire, verrouillée par son tuteur. L’Ouverture époustouflante donne le ton, qui voit évoquer sur l’écran un échantillon des films de « Cecil B. Artoli » (pour Cecil B. DeMille !), où la chanteuse incarne fugitivement plusieurs héroïnes du célèbre réalisateur.
La suite ne cesse de multiplier les inventions percutantes, souvent hilarantes, mais jamais vulgaires, où Rolando Villazon témoigne d’une maîtrise de la direction d’acteurs qu’on n’espérait pas à ce degré de qualité, alliant la tradition de la commedia dell’arte à la parfaite connaissance du gag cinématographique.
C’est aussi que Cecilia Bartoli a constitué, autour d’elle, une formidable équipe. Peut-être mieux encore que dans L’Italiana in Algeri, en 2018, Edgardo Rocha, dont le tenore contraltino a singulièrement forci, déploie souverainement, en Almaviva, un aigu constamment doré et rayonnant. Et la performance ne cesse d’enthousiasmer, que vient sans faiblesse couronner le fameux « Cessa di più resistere », dont le chanteur, devant les acclamations de la salle, se paye le luxe de bisser la dernière partie, partagée par sa Rosina.
Reconduits de L’Italiana, encore, la splendide Berta de Rebeca Olvera, au timbre transparent et à la ligne souveraine, qui console de trop de mezzos poitrinant à l’excès, et le toujours impressionnant Bartolo d’Alessandro Corbelli, vétéran inaltéré.
Quant à Cecilia Bartoli, qui annonce faire là, peut-être – et on le regretterait –, ses adieux au rôle, elle continue de nous stupéfier par l’agilité intacte de sa vocalise, et l’incarnation ardente, brillantissime, d’une Rosina à la volonté de fer, et aux irrésistibles roueries. Bien loin de la Teresa Berganza, toute de suavités et de délicatesses, de 1968, la mezzo italienne nous offre une tout autre conception du personnage, qui correspond parfaitement aux options de la production.
En excellente voix, Ildebrando D’Arcangelo (pour Ildar Abdrazakov, d’abord annoncé) retrouve le Basilio qu’il assumait en juin, et se montre irrésistible dans sa composition de Nosferatu aux longs ongles pointus, et à la démarche enveloppante.
Reste le splendide Figaro de Nicola Alaimo, naviguant insolemment sur le plateau, où il fait de savoureuses entrées en trottinette, et dessinant merveilleusement, outre la virtuosité sans défaut, un personnage nuancé et complexe particulièrement attachant.
Gianluca Capuano justifie longuement ses options dans le programme de salle : retour aux instruments anciens, grande liberté dans les récitatifs… On en voit d’emblée les très heureux effets : l’orchestre Les Musiciens du Prince-Monaco sonne avec une fraîcheur, voire une verdeur, qui permet à la petite harmonie de s’épanouir, comme avec le savoureux continuo d’Andrea Del Bianco, tandis que le parfait chœur (Philharmonia Chor Wien), dirigé par Walter Zeh, maintient une qualité de la meilleure tradition.
Pour la première de cette reprise estivale, une salle comble, qui n’a cessé de témoigner de son bonheur, tout au long de la soirée, fait un triomphe prolongé à l’ensemble. Une nouvelle date marquante dans l’histoire du Festival.
FRANÇOIS LEHEL