Festspielhaus, 21 juillet
La création de Madama Butterfly était prévue pour la fin d’année 1903, à la Scala de Milan, mais Puccini ayant pris beaucoup de retard dans l’achèvement de sa partition, suite à un accident d’automobile, c’est Siberia, tout juste terminée par Giordano, qui fut programmée, le 19 décembre, en lieu et place.
Et ceci, en ré-engageant la plupart des chanteurs déjà prévus pour Madama Butterfly, ce qui explique que les deux ouvrages aient été créés, à trois mois d’intervalle, par les mêmes interprètes : Rosina Storchio, pour les rôles de Stephana et Cio-Cio-San, Giovanni Zenatello, pour Vassili et Pinkerton, et Giuseppe De Luca, pour Gleby et Sharpless, sous la direction du même chef, Cleofonte Campanini.
Mais autant la première de Siberia obtint un relatif succès, autant celle de Madama Butterfly fut un fiasco total. Une tendance qui s’est vite inversée, Siberia n’étant plus programmée, aujourd’hui, que par quelques festivals sensibles aux raretés : naguère Wexford et Martina Franca, Florence plus récemment, et maintenant Bregenz, qui a tenu, cet été, à rapprocher les deux ouvrages, sans toutefois qu’une telle remise en perspective paraisse vraiment fructueuse.
De même que Fedora, le précédent opéra de Giordano, Siberia se conforme à une certaine mode ambiante pour les trames russes, sur un livret plutôt bien construit : un acte à Saint-Pétersbourg, rivalité amoureuse autour d’une ancienne courtisane, qui se dénoue en crime passionnel, suivi de deux actes en Sibérie, où trois des principaux personnages se retrouvent réunis au bagne…
Un chant souvent musclé et un orchestre puissant peinent, cependant, à y rendre crédibles des situations trop rapidement esquissées, sur un fond de couleur locale relativement caricatural, chœurs orthodoxes russes et balalaïkas à l’appui. Et puis, surtout, l’inspiration mélodique paraît inconstante, échouant à marquer durablement la mémoire.
La distribution réunie à Bregenz est compétente, avec, en tête d’affiche, Ambur Braid. La soprano canadienne évite tout débraillé en Stephana, même si les nuances et l’équilibre de sa ligne de chant ne sont pas toujours optimaux. On apprécie l’absence d’excès du ténor russe Alexander Mikhailov, qui manque un peu de la projection souhaitable, mais offre un digne Vassili. En revanche, dans le rôle de Gleby, le « méchant » de l’histoire, le baryton américain Scott Hendricks, habitué du Festival, paraît usé et monochrome.
En fosse, Valentin Uryupin soutient correctement les épanchements vocaux et gère bien les riches interludes orchestraux, mais ne peut évidemment pas conférer à l’ouvrage davantage de cohérence musicale que celui-ci en possède.
Une impression de dispersion encore accentuée par la mise en scène de Vasily Barkhatov, qui superpose, à une lecture du livret plutôt conventionnelle, une action supplémentaire : les tribulations d’une vieille femme cherchant à reconstituer, à l‘époque de la Russie soviétique, le lointain destin de ses parents disparus – en fait, le couple principal de Siberia. Un périple filmé sur les lieux mêmes de l’action, à Saint-Pétersbourg, puis en Sibérie, séquences en noir et blanc très réalistes, projetées pendant les interludes orchestraux.
Cette aïeule égarée, incarnée à l’image par l’ancienne soprano suédoise Clarry Bartha, est plutôt émouvante, mais pourquoi l’avoir aussi incluse dans l’opéra, en lui faisant chanter un peu partout, d’une voix ruinée, des répliques confisquées arbitrairement à tel ou tel rôle – et, paradoxalement, à celui de la Jeune Fille ? L’équilibre du livret se trouve souvent perturbé par cette silhouette qui débarque d’une autre époque et tient, par-ci par-là, des propos d’une cohérence variable.
Somme toute, une vision qui ne manque ni d’intelligence, ni d’imagination, mais complique inutilement le propos.
LAURENT BARTHEL