Opéras Florence se souvient de Lulli
Opéras

Florence se souvient de Lulli

19/08/2022

Sala Zubin Mehta, 6 juillet

Dernier opéra à l’affiche de la 84e édition du Maggio Musicale Fiorentino, Acis et Galatée célèbre le retour de Lully dans sa ville natale. Non pas avec l’une de ses célèbres « tragédies lyriques », mais avec cette « pastorale héroïque », de proportions plus modestes, mais qui n’en reste pas moins séduisante.

Créé le 6 septembre 1686, au château d’Anet, où le Grand Dauphin, fils de Louis XIV, était venu pour une partie de chasse, Acis et Galatée est le dernier chef-d’œuvre de Lully, disparu six mois plus tard. Le sujet, que Haendel mettra à son tour en musique, au siècle suivant, est tiré des Métamorphoses d’Ovide : Galatée, une Néréide, amoureuse et aimée du berger Acis, est également convoitée par le cyclope Polyphème ; dans un accès de jalousie, ce dernier écrase son rival sous un rocher, mais les dieux transforment Acis en fleuve ; en se jetant dans la mer, il vivra auprès de Galatée pour l’éternité.

La partition accorde une large place aux ballets, dont Louis XIV et le public français raffolaient. Ils diluent inévitablement l’action, mais s’avèrent absolument indispensables, enveloppant l’action d’une splendeur aristocratique, à la manière des somptueux habits et perruques qui distinguaient la noblesse de l’époque.

Cette nouvelle production s’inscrit dans un vaste projet conduit par la Ville de Florence, qui entend se racheter après avoir ignoré, pendant plus de trois siècles, l’un de ses plus célèbres enfants. Une initiative qui vaut, d’ailleurs, pour l’Italie tout entière, où Giovanni Battista Lulli, né dans le quartier du Borgo Ognissanti, non loin de l’Arno, le 28 novembre 1632, n’a jamais joui de la même renommée qu’à Paris, où il s’expatria en 1646.

Engagé, à l’âge de 14 ans, comme garçon de chambre chez la Grande Mademoiselle, cousine germaine de Louis XIV, qui souhaitait parfaire son italien, naturalisé français, en 1661, sous le nom de Jean-Baptiste Lully, il gravit rapidement les échelons de la gloire, jusqu’à devenir le tout-puissant surintendant de la Musique. Au passage, il jeta les bases de l’opéra français, sur lesquelles ses successeurs bâtirent l’édifice que nous connaissons aujourd’hui.

Le point culminant du projet qui vient de voir le jour – en collaboration avec le Centre de Musique Baroque de Versailles, la Ville de Florence, le Teatro del Maggio Musicale Fiorentino, l’Institut Français & l’Université de Florence, l’orchestre Modo Antiquo et l’ensemble I Musici del Gran Principe –, devrait être la naissance d’un « Istituto Lulli », avec, pour maître d’œuvre, le chef Federico Maria Sardelli, par ailleurs éminent spécialiste de Vivaldi.

Dans l’attente des développements futurs, Acis et Galatée apporte une confirmation : Federico Maria Sardelli est bien ce que l’Italie a de mieux à offrir, aujourd’hui, à Lully. Il possède le goût et la connaissance des pratiques d’exécution de l’époque, sa direction se distinguant par son exactitude philologique, en s’appuyant sur la nouvelle édition critique de Bernardo Ticci, et sa délicatesse théâtrale.

Pour la première fois dans son histoire, l’orchestre du Maggio Musicale Fiorentino joue sur instruments anciens, avec autant de soin que d’élégance. On note la présence d’un tambourin, ainsi que d’un grand bâton de direction avec lequel, de temps en temps, Federico Maria Sardelli frappe rythmiquement le sol. Comment ne pas songer à celui dont Lully avait l’habitude d’user, jusqu’au moment où il se fit une blessure au pied qui entraîna sa mort ?

Avec le concours des décors d’Adeline Caron, Benjamin Lazar transforme le plateau exigu de la Sala Zubin Mehta en une forêt de conte de fées. Au centre, se dresse un petit théâtre, où Acis et Galatée, devenus élément liquide, fusionnent pour l’éternité.

Le bleu domine dans les costumes d’Alain Blanchot : azur comme le ciel, cristallin comme la mer, tout droit sorti d’une peinture maniériste de Pontormo. Quatre des jeunes habitants de la forêt, qui ressemblent à des hippies, sont des danseurs. Ils exécutent une chorégraphie géométrique et extrêmement sobre, réglée par Gudrun Skamletz.

Dommage que les voix masculines soient globalement limitées. Jean-François Lombard campe un Acis gracile. Également ténor, Sebastian Monti sonne strident et pas toujours juste dans ses trois incarnations. Quant à Luigi De Donato, malgré un chant loin d’être impeccable, il réussit son portrait de Polyphème. Présenté sous les traits d’un motocycliste aux manières frustes, ce rôle de basse, réclamant brutalité et arrogance, lui va comme un gant.

Chez ces dames, on apprécie les prestations des trois sopranos : Francesca Lombardi Mazzulli, Valeria La Grotta et, surtout, Elena Harsanyi, qui apporte au monologue de Galatée, à l’acte III (« Enfin, j’ai dissipé la crainte »), sa juste palette d’émotions.

Une mention, enfin, pour le chœur du Maggio Musicale Fiorentino, remarquable d’engagement.

GREGORIO MOPPI


© MAGGIO MUSICALE FIORENTINO/MICHELE MONASTA

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