Les cinq questions d'Opéra Magazine Emily D’Angelo : « Elvis est un personnag...
Les cinq questions d'Opéra Magazine

Emily D’Angelo : « Elvis est un personnage parfaitement adapté à l’opéra »

15/07/2022
© Mark Pillai

Sensation du Concours Operalia Plácido Domingo en 2018, Emily D’Angelo est partie à la conquête de la planète lyrique dans ces rôles travestis auxquels la prédestinent le ferme velouté du timbre et une allure androgyne. Bientôt en récital au Festival Castell de Peralada, après s’être mesurée à l’Orphée de Gluck à Aix-en-Provence, la mezzo-soprano canadienne se prête avec sincérité à notre jeu du coq-à-l’âne.

Quelle est la chose la plus inhabituelle qu’un metteur en scène vous ait demandé de faire ?

Dans la production d’Idomeneo de Mozart au Bayerische Staatsoper de Munich, en 2021, j’ai fait beaucoup de vols planés et d’escalade. Presque tout le rôle d’Idamante était construit à partir de la dimension « physique » de la scénographie. Les liens entre les protagonistes s’établissaient dans un espace abstrait, qui était une sorte de « non lieu ». J’étais souvent attachée à une corde, parfois à rien du tout, je montais des échelles. Cela devait paraître dangereux du point de vue du public – et l’était aussi un peu dans les faits ! C’est l’une des choses les plus extrêmes que j’aie eue à faire jusqu’à présent dans ma carrière. J’ai dû repousser mes limites, et dompter le décor. Cette agitation apportait beaucoup à la compréhension des personnages. En arrivant sur une production, on « délimite » l’exigence physique, et les répétitions servent à atteindre une condition optimale pour les représentations. Il m’a donc fallu être plus active que d’habitude dans le processus.

Emily D’Angelo (Idamante) dans Idomeneo de Mozart au Bayerische Staatsoper © Wilfried Hösl

Pour quel rôle seriez-vous prête à changer de sexe ?

Aucun des personnages masculins de mon répertoire ne me donne envie de changer de sexe. Pour interpréter des hommes, je me repose avant tout sur les émotions et les relations interpersonnelles du livret, de la partition et de la production, sans distinction de genre ou de sexe. Les mouvements et l’incarnation ne s’appuient pas sur une notion préconçue de ce qu’un homme ou une femme devraient être et faire, mais sur une analyse de chaque moment de l’intrigue, afin de créer une panoplie expressive complète et authentique. Je ne ressens pas le besoin de devenir un homme pour entrer dans la peau de Sesto (La clemenza di Tito de Mozart). Je le comprends grâce à un travail personnel, puis collectif avec l’équipe artistique. En ce qui concerne les rôles de mes rêves, certains me sont évidemment inaccessibles, comme Siegfried ou Parsifal. Même si j’étais ténor, je ne suis pas sûre que je voudrais les chanter, tant ils sont longs et difficiles. Mais ils me fascinent !

Je préfère largement une réaction viscéralement négative face à une production, plutôt que l’ennui ou l’indifférence. Emily D’Angelo

Vers quoi – ou qui – vous précipitez-vous après une représentation ou un concert ?

Il faut que j’enlève mon maquillage et que je remettre mes habits de tous les jours. C’est pour moi un manifeste physique : j’ai besoin de sortir de mes personnages. Et la transformation a lieu en un instant. Les costumes apportent une couche supplémentaire très significative, qu’on ne peut pas ressentir durant les premières répétitions. En les revêtant, on devient une tout autre personne, surtout quand on s’imprègne très en amont du rôle, par des recherches poussées. Ils déterminent une façon de se mouvoir, et changent le regard qu’on porte sur soi-même. Il m’est donc nécessaire de quitter ces vêtements, et d’appeler des amis pour aller boire un verre ou dîner. Je prends beaucoup de plaisir à retrouver la vraie vie après un spectacle.

De quel roman, pièce de théâtre ou film aimeriez-vous qu’un compositeur de votre choix fasse un opéra ?

J’imagine surtout des personnages – réels ou de fiction –, plutôt que des œuvres existantes. Il y aurait des destins plus grands que nature, ou des fragments de vie passionnants à explorer. Je pense par exemple à Peter Pan, David Bowie, ou encore Elvis Presley, dont les histoires familiales, amoureuses et professionnelles sont parfaitement adaptées à l’art lyrique. La musique ne serait pas forcément composée de chansons entières, mais de petits motifs que le reconnaîtrait, de paroles et de rythmes, dans un flux parfois très mélodique, et aussi quelquefois dissonant, pour souligner le tumulte de son existence. Même des personnages qui n’ont pas l’air si grandioses le deviennent par la force de l’opéra. Les œuvres nouvelles les plus réussies sont d’ailleurs celles dont le thème est empreint d’humanité et d’atemporalité.

Emily D’Angelo (Le Prince Charmant) dans Cendrillon de Massenet au Metropolitan Opera de New York © Karen Almond / Met Opera

Quel opéra avez-vu toujours trouvé ennuyeux ?

N’importe quelle œuvre a le potentiel d’être ennuyeuse ou captivante. Tout dépend de la façon dont elle est traitée. Tant de paramètres sont en jeu à l’opéra – le chant, l’orchestre, la lumière, les costumes… – que le fait de passer un bon moment ou non devient un choix, une décision personnelle. Je préfère largement une réaction viscéralement négative face à une production, plutôt que l’ennui ou l’indifférence. Charles Bukowski disait : « Seuls les gens ennuyeux s’ennuient. » De toute façon, on reste concentré sur son chant et sa technique : l’option de ne pas s’ennuyer existe toujours. Il faut juste trouver l’inspiration au bon endroit, ce qui demande de faire jaillir une énergie. Ces choses qui appellent un déclic requièrent parfois beaucoup plus de travail et d’effort. La vie n’est pas qu’une partie de plaisir : on ne saute pas du lit tous les matins en se disant qu’on est heureux et en pleine forme !

Propos recueillis par THIBAULT VICQ

À voir :

Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck, version d’Hector Berlioz, avec Pygmalion, Emily D’Angelo (Orphée), Sabine Devieilhe (Eurydice) et Lea Desandre (L’Amour), sous la direction de Raphaël Pichon, au Festival d’Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, le 21 juillet 2022.

Récital de mélodies et d’airs d’opéra de Gioacchino Rossini, Clara Schumann, Arnold Schoenberg… avec Emily D’Angelo (mezzo-soprano) et Sophia Múñoz (piano), au Festival Castell de Peralada, le 23 juillet 2022.

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