Opéras Tosca très réussie à Nancy
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Tosca très réussie à Nancy

08/07/2022

Opéra National de Lorraine, 22 juin

Pour cette nouvelle production de l’Opéra National de Lorraine, en collaboration avec Angers Nantes Opéra, l’Opéra de Rennes et l’Opéra de Toulon, Silvia Paoli aura eu le désavantage, qui n’est certes pas un tort, de passer juste après Barrie Kosky – pour ceux, du moins, qui ont eu la chance de découvrir sa Tosca à Amsterdam, en avril dernier (voir O. M. n° 183 p. 40 de juin 2022). C’est que, comme lui, la metteuse en scène italienne met à nu le « melodramma » de Puccini – sa violence, ses excès, son urgence. Encore qu’avec des moyens, une esthétique, une sensibilité, une indéniable personnalité théâtrale, enfin, qui lui sont propres.

S’il reste assez indéterminé, malgré les sbires sans visage aux poses démoniaques, créatures somme toute cauchemardesques, qui le teintent de fascisme, le XXe siècle dans lequel Silvia Paoli situe l’action, est assurément bigot. Et partant corrompu, dès lors que les pouvoirs religieux et policier s’allient dans l’avidité, la luxure et la cruauté. Servi par des novices aux pieds et bras nus, qui s’empressent d’assouvir ses désirs, Scarpia semble tenir à sa merci les hauts dignitaires du clergé, cardinaux répugnants de voracité – Spoletta est l’un d’eux –, qu’il invite à sa table pour mieux les dominer, en entretenant leurs vices.

Placé au centre du jeu, le Baron fascine d’autant plus que la silhouette longiligne, mieux, christique de Daniel Miroslaw tranche avec l’épaisse carrure des barytons-basses qui l’incarnent habituellement – parce que le format vocal va de pair avec une certaine stature ? Clair et net d’abord, le chant du jeune Polonais vire assez vite à un parlando assombri, dont le registre supérieur accuse les limites. Mais le personnage est sensationnel. D’où, probablement, les hauts et les bas inévitablement imputés à la direction d’acteurs qui, particulièrement au I, jusqu’à l’entrée forcément fracassante de ce diable d’homme, peine à extirper les amants d’une certaine convention.

Cavaradossi surtout, tant Rame Lahaj paraît soucieux de veiller constamment à la souplesse de sa mâchoire, et de ne pas dévier d’un axe assurant à son émission une efficacité maximum. Réflexes de ténor ? Qui, en tout cas, portent de beaux fruits, même si certaines sonorités sont d’un éclat moindre, compensé par le soin de la ligne et une séduction sans ostentation.

Face à lui, Salome Jicia déploie d’emblée, pour sa prise de rôle, les atouts d’une Tosca de grande expérience. La palette dynamique ne pourra que s’affiner, mais l’extension, la plénitude d’un extrême à l’autre de l’ambitus, la démesure tragique qui accompagne le geste – jusqu’au suicide, ici d’une balle dans la tête, ajoutant son corps à un amas de squelettes – tapent déjà dans le mille.

C’est d’ailleurs le cas de l’ensemble du plateau – où se distinguent Tomasz Kumiega, Angelotti qui fait tout l’effet qui lui incombe en déboulant dans l’église, ou encore Daniele Terenzi, Sacristain savoureusement italien –, sur lequel Silvia Paoli sait s’appuyer pour asseoir la cohérence du spectacle. Et confirmer sa plus grande qualité, qui est de ne pas disperser l’attention – même quand elle s’autorise, en puissant contraste avec sa vision épurée, un « Te Deum » en forme de tableau vivant, citant le martyre de saint André, plus ou moins tel que l’a peint Mattia Preti, au XVIIe siècle, pour l’autel de Sant’Andrea della Valle.

Ou comment réaffirmer un authentique respect de l’œuvre, sans la figer dans une imagerie éculée. Et, donc, ne pas soumettre des interprètes d’aujourd’hui à une comparaison stérile avec les fantômes censément glorieux du passé, dès lors que le souvenir n’en est plus que discographique – sauf pour les quelques gardiens du culte, qui peuvent encore affirmer, même si leur mémoire leur joue parfois des tours, qu’ils les ont vus.

Parce qu’elle ne renie pas la tradition, sans pour autant en adopter les automatismes, la direction d’Antonello Allemandi va dans ce sens, obtenant, après quelques nécessaires ajustements, le meilleur de l’Orchestre de l’Opéra National de Lorraine. Point d’intention pseudo-révolutionnaire, mais une écoute du plateau, alliée à un sens du tempo giusto qui, en vérité, est simplement celui du théâtre.

MEHDI MAHDAVI


© JEAN-LOUIS FERNANDEZ

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