Opera House, 11 juin
Le soleil inonde les pelouses et les pique-niques de Glyndebourne, mais ce sont bien le froid et le brouillard de l’hiver parisien qu’évoque cette nouvelle production de La Bohème. Pourtant, le décor que l’on découvre, au lever de rideau, est inattendu : pas de mansarde, mais une rue pavée, bombée au centre, avant de redescendre vers le fond de scène, enserrée entre deux murs de béton brut, qui tracent une perspective inquiétante.
Côté cour, un empilement vertigineux de chaises et de tables, au sommet duquel est perché Rodolfo, immobile. Côté jardin, Marcello, vêtu comme un peintre en bâtiment, est semblablement figé. Nous sommes dans le Paris de l’Occupation, comme le révèlent les costumes des clients du Café Momus, déployé en travers de la rue par une escouade de garçons de café, qui se saisissent du mobilier avec une virtuosité chorégraphiée. Au III, tables et chaises ont été réempilées et bâchées, Parpignol dévoilant une floraison de chrysanthèmes, lorsqu’il enlève la bâche, à la fin de l’acte.
Pourquoi Parpignol, incarné par le ténor britannique Christopher Lemmings ? Parce que le marchand de jouets du II (qui ne propose ici que des ballons rouges, façon Banksy) remplit une seconde fonction dans ce spectacle. Cheveux gris huileux, peignés en arrière, visage austère et creusé, engoncé dans un long pardessus de laine anthracite, il suit, silencieux, Mimi dans chacun de ses déplacements. En fait, il représente la Mort, comme le confirme la fin de l’opéra, lorsque l’héroïne part à son bras. L’idée est à la fois simple et efficace, et le metteur en scène néerlandais Floris Visser la conduit avec sobriété.
Finesse, encore, dans la direction musicale de Jordan de Souza. À la tête d’un excellent London Philharmonic, le jeune chef canadien témoigne d’un grand sens théâtral. Il réussit à concilier approches lyrique et analytique, avec une véritable sensualité, lorsqu’il façonne la masse orchestrale, mais aussi un beau travail sur les détails.
Coup de chapeau, enfin, aux responsables des distributions, qui ont su construire un plateau de qualité, réunissant six jeunes chanteurs, issus de presque tous les continents : Mimi est chilienne, Musetta et Schaunard, sud-africains, Rodolfo, coréen, Marcello, américain, et Colline, bulgare.
La Mimi de Yaritza Véliz est formidable : voix ronde, pleine et soyeuse, à l’aise dans tous les registres et projetée avec aisance. Sehoon Moon n’est pas en reste, campant un Rodolfo solaire, généreux sans vulgarité. La Musetta de Vuvu Mpofu est absolument éblouissante, très bien entourée par le Marcello de Daniel Scofield, le Schaunard de Luthando Qave et le Colline d’Ivo Stanchev.
NICOLAS BLANMONT