Teatro della Pergola, 13 juin
Au jeu des comparaisons, imposé par la proximité temporelle de ces deux nouvelles productions d’Ariadne auf Naxos, l’Opéra de Limoges s’impose comme vainqueur, et quasiment par KO – du point de vue, non seulement théâtral, mais aussi de la cohésion du plateau vocal –, sur le Mai Musical Florentin. À l’intelligence, à la modernité, et au soin presque maniaque du détail déployés par Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil sur une scène, certes ambitieuse, mais dite « de région » (voir O. M. n° 184 p. XX de juillet-août 2022), Matthias Hartmann ne peut opposer, dans un grand festival censément international, qu’un spectacle aussi indigent que tape-à-l’œil.
Le mécène, vieillard en fauteuil roulant, et très manifestement privé de ses capacités de jugement, fait une brève apparition, poussé vers les coulisses par Alexander Pereira. Le directeur général du Teatro del Maggio Musicale Fiorentino, selon une tradition qu’il a sans doute lui-même instituée, lorsqu’il était à la tête de l’Opernhaus de Zurich, s’arroge le rôle parlé du Majordome – qu’il tient immuablement avec la morgue enjouée de l’amateur éclairé, ramené en enfance par la perspective du feu d’artifice.
Au milieu d’une collection d’œuvres d’art assez aisément reconnaissables – une Sfera d’Arnaldo Pomodoro, un Concetto spaziale de Lucio Fontana, un Monument de Dan Flavin, un Jeff Koons… –, s’organise sans effervescence, même simulée, une soirée entre revue de cabaret et émission de variétés, par laquelle personne, malgré l’exubérance des costumes, sinon des maquillages, nettement simplifiés par rapport aux photos des répétitions reproduites dans le programme de salle, ne semble vraiment concerné.
Comme est prévisible, méprisable, et finalement ridicule, ce milieu de saltimbanques, caractérisés de façon aussi paresseuse qu’univoque ! La Prima Donna outragée, dans sa panoplie 100 % léopard, remporte évidemment la palme des caricatures. Au point que Matthias Hartmann mériterait d’être condamné à une interdiction d’exercer, pour avoir commis le péché impardonnable d’abandonner Krassimira Stoyanova à elle-même.
Voici, tant dans le Prologue que sur son île plus tout à fait déserte, l’éminente soprano bulgare en parangon de diva à l’ancienne, et si peu tragédienne. Ou alors d’une manière curieusement vériste, et donc étrangère au marbre néoclassico-postromantique dans lequel Strauss et Hofmannsthal ont sculpté leur Ariadne. Ses élans mélodramatiques, et souvent désordonnés, auxquels d’aucuns trouveront un charme désuet, ne tardent pas à imprégner son chant, dont la qualité tient d’abord à la suprême intégrité de l’instrument, au prix, certes, de quelques arrangements avec le texte – comme ces consonnes, doublées ou esquivées selon son caprice. Mais comment résister à l’ampleur du souffle, et partant de la ligne, d’un autre âge assurément ?
Sans chercher à pencher davantage vers le masculin ou le féminin, le Compositeur de Michèle Losier est conforme à son Octavian – long, plein, suprêmement modulé et ardent. Troisième remplaçante (après Sara Blanch et Gloria Rehm) de Jessica Pratt, « toujours positive au Covid », Beate Ritter décoche l’air de Zerbinetta avec un abattage que ne laissait pas nécessairement présager une émission assez floue, dans une première partie en retrait. De quoi absoudre la soprano autrichienne, dépêchée in extremis de la troupe du Staatsoper de Stuttgart, d’un suraigu tiré et un peu sec.
AJ Glueckert atteint, pour sa part, les impossibles hauteurs de Bacchus, et surtout s’y maintient, avec une rare facilité. Son jeune dieu n’en manque pas moins de cette démesure que confère l’éclat clinquant du cuivre, plutôt que la matité du bronze. Rien à signaler, hormis peut-être le séduisant baryton de Liviu Holender en Harlekin, du côté des « masques », sinon que nul n’a cru bon de leur apprendre à bouger…
Est-ce un hasard si la Sächsische Staatskapelle de Dresde, éminente phalange straussienne s’il en est, vient d’élire Daniele Gatti à sa tête ? Une fois admis que le chef italien ne nous a pas toujours convaincu à l’opéra, il se distingue, grâce à une lecture contrastée et vibrante, portée par l’acoustique idéale du Teatro della Pergola, et surtout des musiciens supérieurement artistes avant d’être techniciens, en grand ordonnateur d’une magistrale fête des timbres.
MEHDI MAHDAVI