Opéra, 7 juin
Barrie Kosky est décidément un magicien. Qu’il se mesure à Mozart, Verdi, Wagner ou Jerry Bock (Fiddler on the Roof/Un violon sur le toit), le metteur en scène australien transforme en or tout ce qu’il touche. Son secret ? Loin de vouloir jouer au plus fin avec les œuvres, il les décortique pour en tirer tout le suc. Il met ainsi en valeur livret et musique, sans jamais tomber dans le goût du jour.
Avec West Side Story (1957), il a affaire à un monument du théâtre musical : la partition de Leonard Bernstein, les paroles de Stephen Sondheim, la chorégraphie de Jerome Robbins sont d’autant plus gravées dans les mémoires que le film de Robert Wise (1961), très fidèle à l’original, a connu un succès planétaire. Barrie Kosky prend le parti de la sobriété, ce qui souligne encore la force des chansons qu’on redécouvre.
Au début, un homme joue avec un ballon dans le noir. Le décor est posé, ou plutôt l’absence de décor : rien ne suggère New York, on ne voit qu’un terrain de basket, où vont s’affronter les bandes rivales des Jets et des Sharks. La tournette permet d’amener de rares accessoires : un comptoir de marchand des quatre saisons, un grand lit… Quand d’énormes boules à facettes descendent des cintres, l’effet est saisissant.
De chaque côté de la scène, des échelles permettent aux protagonistes de se percher pour lancer leurs airs. L’image finale est magnifique : au centre, Maria tient dans ses bras le cadavre de Tony, tandis qu’autour de la Pietà ainsi formée , les choristes dessinent un demi-cercle. Les éclairages de Franck Evin jouent un rôle essentiel, qu’ils isolent les personnages en train de chanter ou soulignent un moment dramatique.
La chorégraphie d’Otto Pichler est d’une énergie folle : danseurs et danseuses du Ballet de l’Opéra National du Rhin se liguent ou s’affrontent dans des rituels sauvages, où les hommes, torse nu, exhibent leurs tatouages.
Dans sa petite robe noire, la soprano néo-zélandaise Madison Nonoa est une irrésistible Maria, aussi convaincante dans la douceur élégiaque que dans la révolte douloureuse. Anita, campée par la mezzo britannique Amber Kennedy, est une bombe en jupe fendue, véritable tornade de sensualité qui emporte tout sur son passage.
Le Tony du ténor américain Mike Schwitter joint à une belle voix chaude un séduisant physique, aussi à l’aise dans la ballade amoureuse que dans la provocation. Avec son bonnet à pompon, le personnage d’Anybodys, le garçon manqué, trouve en Laura Buhagiar une interprète pleine d’humour et d’énergie. Mais tous et toutes seraient à citer, car la qualité la plus marquante du spectacle est d’être un ensemble, où chaque élément a son importance.
Sous la direction survoltée du chef américain David Charles Abell, l’Orchestre Symphonique de Mulhouse maintient un rythme effréné.
Cette production a été créée, en 2013, au Komische Oper de Berlin, dont Barrie Kosky est le directeur général et artistique. Comment imaginer qu’un spectacle d’une telle qualité, et une œuvre aussi populaire, ne poursuivent pas leur parcours à travers le monde dans les saisons à venir ?
BRUNO VILLIEN