Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 25 mai
Parmi les spectacles fêtant le 400e anniversaire de la naissance de Molière, ce George Dandin mérite assurément une place à part. D’abord, parce que l’œuvre (Versailles, 1668) est peu donnée. Ensuite, et surtout, parce que la mise en scène de Michel Fau – qui tient aussi le rôle-titre – allie remarquablement efficacité et subtilité, avec frontalité de jeu, subtiles lumières rappelant l’éclairage à la bougie, et adoption de postures baroques (très inégalement réalisées par chacun) pour les chanteurs des intermèdes galants. Les costumes de ces derniers, somptueux et colorés, et leurs lourds maquillages, contrastent avec ceux des personnages de la pièce.
Rappelons l’intrigue. George Dandin, riche paysan, ayant épousé, dans l’espoir de s’élever, la jeune Angélique de Sotenville, doit essuyer ses infidélités, ainsi que le mépris de ses beaux-parents, nobles désargentés et obsédés par leur rang, qu’il a pourtant renfloués. Sous le registre de la farce, donc, une critique sociale, digne d’une vraie comédie de mœurs.
Saluons l’ingéniosité du décor, offrant en son centre la maison du héros, sorte de donjon symbolisant, à la fois, son désir d’ascension et l’irrémédiable distance qui le sépare du grand monde, avec, tout autour, des toiles peintes de motifs végétaux qui, en s’écartant, laissent apparaître le petit orchestre, lors des intermèdes musicaux.
Ceux-ci apportent un contrepoint ironique à l’histoire : là où George Dandin clame, pendant trois actes, son infortune d’être cocu, en une langue parfois assez verte, les bergers de la pastorale, représentation idéalisée de cette aristocratie inaccessible, ne chantent qu’amour et fidélité, en vers distingués et sur la musique raffinée de Lully. Particulièrement remarquable, la « Plainte » pour soprano (« Ah ! mortelles douleurs ») est très bien rendue par Juliette Perret.
Le dernier divertissement permet de montrer habilement le héros renonçant au suicide, pour noyer son chagrin non plus dans l’eau, mais dans le vin, en un finale à la gloire de Bacchus, mais aussi, ironiquement, de l’Amour.
Ce n’est pas la moindre réussite de Michel Fau que d’avoir pleinement traduit la bipolarité esthétique de George Dandin, entre grosse farce pessimiste et divertissement royal raffiné. Les comédiens s’imposent par des voix sonores et fortement caractérisées, mais aussi par un travail scrupuleux de la diction, rare dans un texte en prose.
Quel contraste entre le jeu tonitruant des deux serviteurs, Claudine et Lubin, l’ultra-sophistication des odieux beaux-parents (incroyables effets vocaux d’Anne-Guersande Ledoux) et l’ironie du couple d’amoureux, Angélique et Clitandre ! Quant à Michel Fau, il parvient à faire rire (jaune) en George Dandin, tout en étant émouvant, en un ton oscillant entre burlesque et tragique, mais avec une sobriété inattendue, qui tranche avec l’excès très contrôlé qu’il demande aux autres acteurs.
À la tête de son excellent ensemble Marguerite Louise, Gaétan Jarry dirige du clavecin huit instrumentistes et quatre chanteurs (tous en alternance, selon les dates) qui compensent, par l’énergie et le charme, ce que l’effectif peut avoir d’un peu limité, en particulier pour le vaste finale, qui devrait normalement faire intervenir un double chœur – et auquel se mêlent, plus ou moins habilement, mais avec enthousiasme, les acteurs de la pièce.
Par rapport à l’enregistrement réalisé pour Château de Versailles Spectacles, en amont de la production, en février 2020 (voir O. M. n° 166 p. 65 de novembre), on est frappé par ce que l’interprétation a gagné de vie, avec l’expérience de la scène. Les voix sont jolies, un peu frêles pour les deux sopranos, plus robustes pour le ténor et la basse, qui doivent assumer des tessitures assez contrastées. On apprécie, chez tous, diction et style impeccables.
Bien sûr, on rêverait que la danse prenne aussi sa place, pour donner à la représentation tout son faste – cette « comédie-ballet » était insérée dans le Grand Divertissement royal, offert par Louis XIV, le 18 juillet 1668, pour célébrer la paix d’Aix-la-Chapelle. Mais tel quel, voici un spectacle tout à fait réussi, dont la tournée va se poursuivre. Il repassera notamment, en septembre, dans l’écrin idéal de l’Opéra Royal de Versailles : ne le manquez pas !
THIERRY GUYENNE