Opéras Werther réussi à Lausanne
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Werther réussi à Lausanne

03/06/2022

Opéra, 20 mai

Il faut bien admettre que Werther est un opéra d’une criante modernité. Son héros souffre, en effet, de deux maux bien contemporains : c’est un pervers narcissique, qui torture la malheureuse Charlotte, tout en hurlant son malheur ; c’est aussi un bipolaire, toujours tiraillé entre l’exaltation philosophico-sentimentale et une noire dépression mortifère. Le livret de Blau, Milliet et Hartmann est, sur ce point, plutôt fidèle à Goethe, qui fait dire à Werther : « Je fais le serment qu’une femme que j’aimerais (…) ne valserait qu’avec moi, dussé-je périr ! »

Dans la mise en scène de Vincent Boussard, en charge de la nouvelle production de l’Opéra de Lausanne, ces traits psychologiques se manifestent par l’attitude du héros, parfois indifférent et refermé sur lui-même, parfois violent, et par la gestion de l’espace. Toute l’action se déroule en des lieux resserrés. C’est, dès le premier acte, un intérieur réduit à un couloir, limitant les mouvements des personnages. Plus tard, c’est une pièce close, d’où personne ne peut sortir.

On sait que les librettistes, en dépit de leur relative fidélité, ont tout de même modifié beaucoup de choses, notamment lors de la mort de Werther, que Massenet traite sous la forme d’un duo d’amour, qui n’a pas son équivalent dans le roman. Vincent Boussard semble alors pencher vers le retour à l’original, quitte à casser l’émotion mélodramatique voulue par le compositeur.

Au dernier acte, Werther et Charlotte évoluent ainsi dans deux espaces séparés et étroits. La jeune femme imagine la mort de son ami, tandis qu’Albert tente de donner à leur relation un tour érotique (peu vraisemblable !) ; le poète, qui n’est même pas blessé, paraît se concentrer sur l’écriture (de son propre suicide ?). Il ne se tuera, en définitive, que sur l’accord final de l’orchestre.

Vincent Boussard a beaucoup travaillé sur les personnages secondaires : le Bailli, Schmidt et Johann, et même Sophie, auxquels il donne énormément de vivacité, voire de verve burlesque. La tradition de l’« opéra-comique » français, en effet, exigeait que, même au sein de l’intrigue la plus sombre, demeurât quelque chose de la blague parisienne. Les beaux costumes de Christian Lacroix évoquent, d’ailleurs, plutôt la France de la fin du XIXe siècle que l’Allemagne des années 1770.

Jean-François Borras est aujourd’hui familier du rôle de Werther. Il en possède toutes les qualités : une puissance suffisante, mais aussi un aigu triomphant, qui lui fait projeter sans problème, et sans brutalité, les la dièse de « Pourquoi me réveiller ». Caractérisant parfaitement chacun de ses grands moments, il se montre élégiaque et doux dans « Ô nature, pleine de grâce », puis ardent au II et au III.

La prise de rôle d’Héloïse Mas en Charlotte est tout à fait réussie, nous changeant de tant de mezzos trop sombres. Sa puissance est pourtant loin d’être négligeable, mais elle sait alléger le son et colorer, tout en donnant l’image d’une jeune femme réservée, mais habitée d’un discret feu intérieur. L’Albert de Mikhail Timoshenko, dont on salue la qualité de la prononciation, chante fort bien. Son air du I (« Quelle prière de reconnaissance ») est interprété avec la pudeur et la musicalité d’une mélodie.

Marie Lys ne donne jamais dans le soprano pépiant en Sophie, avec des vocalises parfaites. L’actrice est, de surcroît, excellente. Impressionnant d’autorité, Vincent Le Texier figure, avec beaucoup d’imagination, un Bailli dépassé par ses enfants gâtés. La mise en scène exige ici de Schmidt et Johann, un engagement qu’on ne leur demande généralement pas. Maxence Billiemaz et Aslam Safla brûlent les planches.

Laurent Campellone dirige l’Orchestre de Chambre de Lausanne, avec une fougue contrôlée, beaucoup d’urgence dramatique, mais aussi une précision de chaque instant, qui assure un équilibre parfait entre fosse et plateau. Les moindres détails de la partition sont mis en lumière, l’auditeur baignant dans un voluptueux océan sonore.

Le spectacle sera repris, à l’automne, à l’Opéra de Tours, son coproducteur, cette fois avec un Werther baryton : Régis Mengus.

JACQUES BONNAURE


© JEAN-GUY PYTHON

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