Opéras Tosca pasolinienne à Montpellier
Opéras

Tosca pasolinienne à Montpellier

01/06/2022

Opéra Berlioz/Le Corum, 15 mai

Lors de la création de ce spectacle, à la Monnaie de Bruxelles, en juin 2021 (voir O. M. n° 175 p. 54 de septembre), Katia Choquer avait souligné la force et la capacité d’émotion de la vision de Rafael R. Villalobos, ainsi que la beauté des décors d’Emanuele Sinisi. Sa reprise par l’Opéra Orchestre National Montpellier, son coproducteur, confirme ces atouts, renforcés par la cohérence du propos et le fait que la transposition dans l’univers de Salo ou les 120 Journées de Sodome (Salo o Le 120 giornate di Sodoma, 1975), dernier film de Pier Paolo Pasolini, ne nuit jamais à la compréhension de l’intrigue, ni au pouvoir d’évocation de la musique.

Avons-nous découvert, pour autant, des choses que nous ignorions sur Tosca ? La réponse est non, en particulier sur Scarpia, dont tant de barytons ont traduit la perversité sans avoir besoin de peloter un éphèbe nu, assis sur leurs genoux. La référence visuelle à Pasolini nous semble relever de l’habillage « cosmétique », bien dans l’air du temps et, en définitive, anecdotique. Nous gêne davantage la séquence muette de drague, avant le début du II, entre le cinéaste et son amant meurtrier, sur une plage d’Ostie, en 1975, au son de la chanson Love in Portofino de Dalida. Si l’on n’en perçoit pas la fonction (ce qui est notre cas), on s’ennuie ferme pendant quatre minutes.

C’est un détail, évidemment, mais lourd de conséquences sur la perception globale du spectacle, comme vient de le démontrer le forfait d’Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna pour la reprise du Liceu de Barcelone, autre théâtre coproducteur, en janvier 2023. L’« obscénité » dénoncée par certains est, en effet, marginale, au regard de la qualité d’ensemble de la réalisation et de la puissance de la direction d’acteurs. Si Rafael R. Villalobos veut faire carrière en surfant sur un parfum de scandale, le pari est gagné. Il n’est pas sûr qu’il s’avère payant sur le long terme.

Entièrement renouvelée par rapport à Bruxelles, la distribution est à la hauteur de l’enjeu, à l’exception du Scarpia bien chantant de Marco Caria, qui ne possède pas le volume nécessaire pour toujours passer la rampe dans l’immensité de l’Opéra Berlioz. Surtout quand l’excellent Michael Schonwandt lâche la bride à un superbe Orchestre National Montpellier Occitanie et à un Chœur très présent (le baryton italien est complètement inaudible dans la fin du « Te Deum »).

Les comprimari sont sans reproche, avec une mention pour le Spoletta intelligemment caractérisé de Yoann Le Lan et, surtout, pour le Berger du contre-ténor Léopold Gilloots-Laforge, particulièrement mis en valeur par la mise en scène, puisqu’il se confond avec l’un des enfants de chœur, puis avec le meurtrier de Pasolini.

Telle que Mehdi Mahdavi l’avait décrite en Turandot, au Teatro dell’Opera de Rome, en mars dernier (voir O. M. n° 182 p. 61 de mai 2022), telle nous avons découvert Ewa Wesin en Tosca. La voix est effectivement pleine, ample et tranchante (quels contre-ut au II et au III !), l’interprète y ajoutant une vraie sensibilité et un physique de théâtre parfaitement en situation. Seule réserve : la soprano polonaise va-t-elle durer, en enchaînant des emplois aussi lourds ? Quelques moments, où le vibrato se fait moins contrôlé, soulèvent l’ombre d’un doute.

Amadi Lagha, enfin, a tous les atouts pour Cavaradossi : un timbre ensoleillé de ténor lirico tendant vers le spinto, un aigu facile et percutant, une présence immédiatement attachante. Son « E lucevan le stelle », phrasé avec intensité et remarquablement nuancé, soulève, à juste titre, l’enthousiasme d’une salle comble.

RICHARD MARTET


© Marc Ginot

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