Opéras Tours sous le charme de la Caravane du Caire
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Tours sous le charme de la Caravane du Caire

02/05/2022

Grand Théâtre, 26 avril

Cinq cent six représentations, entre 1783 et 1829 : La Caravane du Caire, « opéra-ballet » créé à Fontainebleau, en présence de Louis XVI et de Marie-Antoinette, protectrice d’André-Ernest-Modeste Grétry (1741-1813), fut l’un des spectacles les plus courus de Paris. Puis, plus rien, jusqu’aux versions de concert dirigées par Marc Minkowski (1991) et Guy Van Waas (2013), chaque fois accompagnées d’un enregistrement pour la firme Ricercar. Or, cet ouvrage est éminemment scénique.

Les musicologues de jadis, comme Henri de Curzon, ne lui accordaient pas beaucoup d’importance au sein de l’énorme catalogue du compositeur. C’est que La Caravane du Caire échappe aux catégories traditionnelles : ce n’est pas une « tragédie lyrique », mais cela ne ressemble pas non plus aux innombrables « opéras-comiques » villageois et sentimentaux, dont Grétry s’était fait une spécialité. L’ouvrage annonce l’opéra « à sauvetage » qui fleurira bientôt.

Musicalement, le style est, à la fois, bien caractéristique et très éclectique : on y trouve de charmantes danses, des ariettes assez drôles, des airs à l’italienne de haute virtuosité et quelques morceaux d’une certaine grandeur, à la manière gluckiste. Surtout, Grétry a su caractériser ses personnages.

On peut supposer que l’on doit cette Caravane, nouvelle coproduction entre l’Opéra de Tours et Château de Versailles Spectacles, à la réussite absolue du Richard Cœur de Lion mis en scène par la même équipe, en 2019 (voir O. M. n° 156 p. 58 de décembre). Les fondamentaux sont identiques : mise en scène « historiquement informée », mais sans rigueur excessive, portée par de superbes décors et des costumes orientalisants ; chorégraphies délicieuses ; éclairages savamment étudiés. Le tout au bénéfice de l’esthétique du plaisir, qui prévaut ici.

Marshall Pynkoski souligne bien le lien entre la pratique théâtrale de Grétry et la tradition de la « commedia dell’arte », notamment à travers le personnage comique de Tamorin. Mais La Caravane du Caire tient aussi du drame, tel que le concevait Diderot, et des nombreuses « turqueries » d’époque.

L’ouvrage requiert une distribution assez nombreuse. Comme souvent, Grétry a confié des parties très difficiles à des rôles secondaires, qui doivent donc être confiés à des interprètes de haut niveau technique, même s’ils n’apparaissent que quelques minutes. C’est le cas avec l’Esclave française, dont l’air très brillant est parfaitement chanté par Lili Aymonino.

Parmi les premiers rôles, le traditionnel couple d’amants séduit d’emblée. Aux côtés de la Zélime de la soprano française Maya Villanueva, Blaise Rantoanina propose un Saint-Phar plein de charme. Les moyens du ténor malgache sont relativement légers, mais il maîtrise si bien sa projection qu’il peut assumer des passages vaillants.

Jean-Gabriel Saint Martin incarne deux caractères opposés : Husca, l’odieux marchand d’esclaves, et Florestan, le père noble et douloureux. Prononciation parfaite, autorité vocale, nous sommes dans la grande tradition des barytons français. Chloé Jacob impressionne en Almaïde, soprano lyrique capable d’agilité, épouse délaissée par Osman, incarné par Olivier Laquerre, baryton-basse à la belle prestance, mais à la ligne un peu flottante dans l’aigu. Quant au ténor Enguerrand de Hys, il joint une classe absolue à son talent d’acteur en Tamorin.

Au contraire des phalanges réunies pour les deux enregistrements précités, l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours n’est pas un ensemble « baroque », mais Stéphanie-Marie Degand lui a fait intégrer quelques données instrumentales d’époque dans le travail des timbres, la netteté incisive et la vivacité. Le résultat est très convaincant, très dynamique, même dans les récitatifs, accompagnés avec souplesse.

À la fin, quand Stéphanie-Marie Degand monte sur le plateau pour se joindre aux chanteurs, on a envie de la rejoindre pour cette irrésistible « Danse pour les Turcs », appplaudie en cadence par un public ravi.

JACQUES BONNAURE


© MARIE PÉTRY

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