Staatsoper, 18 avril
Calixto Bieito est-il toujours un provocateur patenté ? Quelques médias viennois avaient fait leurs choux gras du fait que le public de la générale de cette nouvelle production de Tristan und Isolde avait manifesté sa désapprobation par des huées, dès la fin de l’acte I. En y regardant de plus près, il semble que la contestation venait, avant tout, de l’absence du Parsifal traditionnellement programmé à Pâques, au Staatsoper, et de son remplacement par cet autre monument wagnérien.
De fait, il n’y a rien de fondamentalement choquant dans ce spectacle – même si on note la présence d’une quarantaine de figurants nus, au III, qui restent heureusement, la plupart du temps, dos au public, offrant leurs fesses comme une sorte de rideau humain. Non, s’il faut adresser un reproche au metteur en scène espagnol, c’est de manquer d’une vision forte et cohérente de l’ouvrage.
Même s’il n’y a pas de décors permanents, les costumes permettent de comprendre que l’action est transposée à l’époque actuelle. Les robes à pois d’Isolde et de Brangäne, la canadienne de Tristan, les impers de Kurwenal et Marke, en revanche, ne fournissent aucune indication sur le sens de l’action.
Les machinistes dans les cintres sont particulièrement sollicités : au I, les personnages principaux, à l’instar d’une dizaine d’enfants aux yeux bandés, sont assis sur des balançoires, les pieds dans un mince filet d’eau, dont les reflets créent de jolies images sur le mur du fond. Tristan rampe sur le sol, puis finit sous la robe d’Isolde, qui le maudit d’abord, puis l’étreint, avant même d’avoir absorbé le moindre philtre magique !
Au II, les amants déroulent leur duo dans deux grandes nacelles, espaces parallèles reproduisant des chambres bourgeoises, dont chacun s’emploiera à déchirer, ou à arracher, les murs de papier. Ils ne se toucheront presque jamais, sauf en empoignant ensemble un grand couteau, jusqu’ici instrument de travail d’une Brangäne transformée en poissonnière – Tristan s’éventrera, d’ailleurs, avant l’arrivée de Marke ! Au III, cinq autres nacelles descendront des cintres, juste avant l’arrivée d’Isolde, sans que l’on sache ce qu’elles représentent.
La direction de Philippe Jordan est plus dramatique que lyrique. Ses tempi semblent particulièrement lents, parce qu’il prend le temps de construire chaque son. Si, dans le Prélude, le résultat peut sembler manquer de flamme, au fil de la soirée, on s’habitue à cette façon de creuser, d’interroger la partition, et on se laisse emporter par des moments d’une bouleversante intensité. De façon inattendue dans pareil temple, les cuivres trahissent, plus d’une fois, une certaine nervosité.
L’Isolde de Martina Serafin dispose d’aigus puissants et sonores, mais aussi stridents. L’intonation est, plus d’une fois, prise en défaut, tandis que le grave manque de projection. Néanmoins, l’actrice compense par sa présence magnétique et intense.
Le Tristan d’Andreas Schager, en revanche, est proche de l’idéal, en termes de projection, d’homogénéité de l’émission et de qualité du phrasé. Hormis un petit moment de fatigue, au II, son endurance force le respect, jusqu’à une scène finale d’une puissance hors norme, dans laquelle il danse avant de s’écrouler.
René Pape offre son habituelle leçon de chant en Marke, sans doute l’un de ses plus beaux rôles, avec une voix qui passe la rampe avec une aisance confondante. La Brangäne d’Ekaterina Gubanova et le Kurwenal de Iain Paterson sont de très bon niveau, sans être pour autant inoubliables.
NICOLAS BLANMONT