Opéra, 19 avril
La charmante production imaginée par Dieter Kaegi, à l’Opéra de Monte-Carlo, en mars 2019 (voir O. M. n° 150 p. 52 de mai), investit le plateau de son coproducteur, l’Opéra de Marseille. Toujours aussi astucieuse, la réalisation, conçue à la manière d’un vaudeville très théâtral, confirme ses qualités. Le voyage mouvementé des héros, à bord d’un train de luxe à destination du Caire, n’a rien perdu de son attractivité ; et les différentes escales (Salzbourg, Budapest, Istanbul) sont autant d’occasions pour le metteur en scène suisse de décliner, avec un humour parfois grinçant, les thèmes du livret : amour impossible, différences de culture, opposition des classes…
La direction d’acteurs, particulièrement enlevée, fait que chaque interprète prend part activement au récit et fait montre d’une belle désinvolture scénique. L’aisance vocale et l’équilibre de la distribution (entièrement renouvelée par rapport à Monte-Carlo, à l’exception de Selim) sont, eux, moins éclatants. Ainsi, si l’on est enthousiasmé par les quatre interprètes masculins, la prestation des deux sopranos appelle des réserves.
Serenad Uyar et Amélie Robins possèdent les moyens de Konstanze et Blonde, mais on reste dubitatif face aux intonations brutales et hasardeuses de la première dans « Ach, ich liebte » et « Martern aller Arten », ainsi qu’aux emportements acides et contraints de la seconde dans « Durch Zärtlichkeit und Schmeicheln ». Quelques passages mieux négociés les montrent un rien plus convaincantes (« Traurigkeit » pour Serenad Uyar, « Welche Wonne, welche Lust » pour Amélie Robins), sans être pour autant mémorables.
Longtemps espéré en Belmonte, Julien Dran se révèle, tout au long de ses quatre airs, remarquable de charme (« Hier soll ich dich denn sehen »), de sensibilité (« O wie ängstlich, o wie feurig »), d’émotion (« Wenn der Freude Tränen fliessen ») et de ductilité (le périlleux « Ich baue ganz »). Son timbre lumineux et son legato délicat comblent toutes les attentes, pour cette prise de rôle à marquer d’une pierre blanche.
Dans son sillage, Loïc Félix est tout aussi remarquable en Pedrillo. Très à son avantage et très en voix, il ne fait qu’une bouchée du percutant « Frisch zum Kampfe ! ». Parfaite pour Osmin, la profonde voix de basse de Patrick Bolleire sonde les notes caverneuses de son personnage avec aplomb et sûreté. Enfin, figure éminemment théâtrale, le Selim plein d’autorité de Bernhard Bettermann se montre toujours aussi convaincant.
En fosse, Paolo Arrivabeni discipline les pupitres de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, avec une rigueur plus que louable. Les tempi sont alertes, les textures instrumentales idéalement exposées, les couleurs subtiles et séduisantes. On regrettera juste un léger manque de densité de la pâte sonore, laquelle semble se dissiper durant certains airs ou ensembles. Le Chœur, de son côté, se montre très investi et sonore.
CYRIL MAZIN