Salle Garnier, 27 mars
Cette nouvelle production marque la création, tardive mais essentielle, de Wozzeck à l’Opéra de Monte-Carlo. Coréalisée avec le Théâtre du Capitole, où elle a vu le jour, en novembre 2021, la mise en scène de Michel Fau n’a rien perdu de sa pertinence, ni de sa force, soulignées par Pierre Cadars, dans son compte rendu de la première toulousaine (voir O. M. n° 179 p. 66 de février 2022).
La distribution est entièrement nouvelle, à l’exception de l’Enfant, toujours incarné par Dimitri Doré. D’une justesse de ton impressionnante, le jeune comédien occupe le plateau avec une présence bouleversante. De son côté, le baryton allemand Birger Radde, voix assurément plus lyrique que dramatique, s’investit pleinement dans le rôle-titre, composant un personnage halluciné, désorienté, au regard fou. Familier de Siegfried, le ténor américain Daniel Brenna possède tous les atouts pour le Tambour-Major, avec un instrument claironnant, aux aigus en lame de couteau.
Mikeldi Atxalandabaso assume vaillamment les intervalles vocaux du Capitaine, tandis qu’Albert Dohmen, jadis grand interprète de Wozzeck – notamment à Salzbourg, en 1997, dans la mise en scène de Peter Stein –, donne toute l’épaisseur voulue au Docteur. Les autres rôles masculins sont parfaitement tenus : Andreas Conrad dans le Fou – sa prononciation du mot « Blut » (« sang ») glace le nôtre –, et Michael Porter en Andres, au timbre lumineux et ductile.
La soprano néerlandaise Annemarie Kremer livre une prestation de haut niveau, utilisant toutes les ressources d’une voix puissante et pleine d’ardeur, osant des couleurs très accentuées ou même la raucité. Sa Marie, dénuée de tout avenir et pourtant vaillante, brise le cœur. Si la Margret de la mezzo américaine Lucy Schaufer manque un peu de sensualité, elle remplit correctement son office.
Le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo et le Chœur d’Enfants de l’Académie de Musique Rainier III, fort bien préparés par Stefano Visconti, surprennent par la plénitude qu’ils déploient dans cette partition périlleuse.
Puissante, la direction de Kazuki Yamada, à la tête de son Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, porte à l’incandescence la musique de Berg, en osmose avec le travail de l’équipe de mise en scène.
Un spectacle particulièrement fort et hardi, qui fait honneur à l’Opéra de Monte-Carlo.
JOSÉ PONS