Opéras Triptyque réussi à Bruxelles
Opéras

Triptyque réussi à Bruxelles

01/04/2022

La Monnaie, 15 mars

Conformément au vœu de Puccini, la Monnaie a choisi de représenter les trois opéras d’Il trittico (New York, 1918) comme un tout, et dans l’ordre prévu par le compositeur. Et la mise en scène de Tobias Kratzer, même si elle transpose les trois intrigues à notre époque, préserve la spécificité de chaque œuvre – pas de décor commun mais, au contraire, trois univers très affirmés, et trois traitements théâtraux bien différenciés –, tout en ménageant, fût-ce en forçant un peu, mais non sans humour, une continuité.

Il tabarro est un film noir. Le titre de l’ouvrage, en écriture façon polar, est intégré dans le dispositif, et l’action se répartit sur quatre conteneurs, superposés deux par deux – qu’on peut voir aussi comme les cases d’une bande dessinée. La séduction, mais également la misère ou la violence, sont représentées de façon éminemment contemporaine.

Dans la chambre conjugale de Michele et Giorgetta, un poste TV grand écran diffuse les images de ce qui semble être tantôt une comédie, tantôt un jeu télévisé en public : on comprendra plus tard qu’il s’agit d’extraits de Gianni Schicchi.

Pour Suor Angelica, Tobias Kratzer fait un usage intensif de la vidéo, mêlant au théâtre en direct un film narratif divisé en chapitres, les personnages passant, en temps réel, de deux à trois dimensions et vice versa. Bien maîtrisé, le procédé, qui permet aussi de jouer sur l’alternance entre la couleur du réel et le noir et blanc du film, rappelle à l’évidence son fameux Tannhäuser de Bayreuth, en 2019.

Les personnages secondaires – et ils sont nombreux dans cet opéra ! – sont très bien caractérisés, avec, en particulier, deux jeunes nonnes lisant clandestinement une BD d’Il tabarro, vu juste avant (le lien est fait).

Le lien avec Gianni Schicchi, qui se joue ensuite, est inattendu, mais plutôt drôle : c’est en écoutant, avec une jouissance de mélomane raffiné, la scène finale de Suor Angelica, sur un vieux vinyle Deutsche Grammophon (un faux, sans doute, car la discographie n’en recense pas sur ce label), que le riche Buoso Donati meurt soudainement, alors qu’il allait s’asseoir confortablement dans son fauteuil design. La direction d’acteurs de Tobias Kratzer se révèle particulièrement affûtée pour décrire chacun des parents (faussement) éplorés du défunt, et leurs motivations réelles sont assez adéquatement représentées par l’immense jacuzzi qui apparaît sous une trappe, et dans lequel tous se baignent dans une débauche de mousse.

Tout l’opéra se déroule comme un jeu télévisé : des spectateurs, installés sur un grand gradin, sont invités à ponctuer l’action de cris, de rires  ou d’applaudissements. Ici encore, le propos se révèle intelligent et la réalisation brillante.

Dans la fosse, Alain Altinoglu, à la tête de l’Orchestre Symphonique de la Monnaie, éblouit et convainc tout autant. Dès Il tabarro, sa direction recèle un tel niveau de théâtralité, qu’on a l’impression d’y voir tout ce que les images disent par ailleurs. Dans Suor Angelica, on est bluffé par le sens du détail, la diversité des ambiances et la capacité à trouver la juste couleur à chaque moment. Enfin, dans Gianni Schicchi, c’est sa virtuosité et sa précision qui font tout le ressort musical de la comédie.

La distribution est remarquable, la plupart des chanteurs, excellents comédiens, cumulant souvent deux personnages. Quelques-uns méritent d’être mis en exergue : Peter Kalman, Michele aussi violent que son Gianni Schicchi sera subtil ; Lianna Haroutounian, émouvante Giorgetta, puis bouleversante Suor Angelica ; Adam Smith, aussi charmeur en Luigi qu’en Rinuccio ; Benedetta Torre, qui fait exister Suor Genovieffa, avant d’offrir une éclatante Lauretta, ou encore Giovanni Furlanetto, solide Talpa, puis brillant Simone.

Au sommet, peut-être, on placera Raehann Bryce-Davis, qui n’a pas besoin d’autre rôle que celui de la Princesse, tante d’Angelica, pour faire frémir par son beau timbre de mezzo.

NICOLAS BLANMONT


PHOTO © MATTHIAS BAUS

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