Nationaltheater, 12 février
L’originalité première de La Petite Renarde rusée (Brno, 1924) est l’hommage qu’y rend Janacek au grand cycle de la nature. Au gré des éveils printaniers et des générations successives, cohabitent quelques villageois aux fonctions emblématiques (garde-chasse, instituteur, curé…), avec tout un bestiaire où chaque rôle a son importance (couple de renards, moustique, blaireau…). Un champ très ouvert, où fantaisie décorative et imagination poétique peuvent trouver des développements quasi infinis.
Paradoxalement, Barrie Kosky choisit de restreindre la parabole à son noyau central : l’être humain, qui devrait ne jamais perdre de vue la nature qui l’environne, pour s’y ressourcer, voire y prendre des leçons de vie. Donc, plus aucune caractérisation animalière sur le plateau, la biodiversité ambiante ne s’y différenciant des villageois que parce qu’elle y détient le monopole de la couleur, de la vivacité des attitudes et de la fraîcheur spontanée des sentiments. Les humains, uniformément vêtus de noir, alcooliques, névrosés, tourmentés, n’ont pas le beau rôle, au point de n’apparaître, le plus souvent, qu’émergeant à demi du sol, déjà captifs de leur futur tombeau.
Le rideau s’ouvre, d’ailleurs, sur un enterrement. D’après les propos de Barrie Kosky, il s’agit de celui de la fille du Garde-chasse, ce dernier adoptant ensuite la Renarde comme un substitut affectif, au cours d’un travail de deuil qui nécessitera un cycle entier de saisons pour s’accomplir. L’idée est jolie, mais pas toujours lisible, de même que l’absence de toute signalétique nécessite une bonne connaissance préalable de l’ouvrage, pour espérer pouvoir distinguer, ici, un chien ou, là, un blaireau. Seules les Poules sont très individualisées, avec bas résille et colifichets en plumes jaune vif, au cours d’un brillant numéro de cabaret, plaqué sur le projet comme un corps étranger : un intermezzo, au demeurant excellent.
Références appuyées au music-hall aussi, pour ce qui est du décor scintillant de Michael Levine, collaborateur régulier de Robert Carsen, et qui travaille avec Barrie Kosky pour la première fois : tout un paysage changeant de guirlandes métalliques, qui accroche la lumière des projecteurs en multiples féeries. Très connoté, délibérément artificiel, mais aussi très beau, ce qui donne à la production une véritable accroche visuelle.
Barrie Kosky peut s’appuyer aussi sur une excellente distribution. Turbulente, spontanée, naturelle en diable, et dotée d’une voix de rêve, la Renarde d’Elena Tsallagova a tout d’une jeune femme idéalisée, aux portes de l’âge adulte, en duo parfaitement assorti avec Angela Brower, là aussi davantage Cherubino ou Octavian en parade amoureuse qu’animal à pelage roux, mais qu’importe.
L’autre grand vainqueur est le Garde-chasse de Wolfgang Koch, seul être humain à bénéficier d’une véritable épaisseur de caractérisation, et qui en profite pour s’imposer avec un aplomb extraordinaire : timbre chaleureux et phrases enveloppantes, dont la noblesse ne semble nullement perturbée par une langue tchèque certes acquise phonétiquement, mais aux problèmes d’intonation correctement négociés.
Seule réserve, mais qui ampute réellement la soirée d’une partie de son charme : la direction de Mirga Grazinyte-Tyla, qui alterne joliment longues trajectoires fluides et segmentations plus heurtées, mais manque d’engagement et d’épaisseur, en particulier dans les interludes, où le propos devrait vraiment décoller pour atteindre au sublime. Ici, l’abord reste factuel et relativement froid, et quand la petite harmonie se décale, ce qui arrive assez souvent, la gestuelle, tout en orbes souples et fuyantes, de la cheffe lituanienne semble impuissante à rattraper quoi que ce soit.
LAURENT BARTHEL