1 CD Warner Classics 0190295037079
Incontournable au début du XVIIe siècle, dans les premiers melodrammi de cour de Giulio Caccini (La Dafne, 1597), Jacopo Peri (L’Euridice, 1600) ou Claudio Monteverdi (L’Orfeo, 1607), le ténor s’est fait beaucoup plus discret avec l’avènement des nouveaux spectacles lyriques payants, produits par les théâtres vénitiens et napolitains. L’arrivée des voix féminines sur scène, puis celle des castrats, polarisant l’attention des compositeurs et du public, il s’est, lentement mais sûrement, retrouvé à incarner des personnages dramatiquement plus en retrait et moins exposés vocalement.
Il serait, toutefois, injuste de croire que les pages écrites pour les ténors, à l’époque baroque, manquaient d’éclat, de profondeur ou de caractère. On en veut pour preuve l’habile florilège, conçu et enregistré (en studio, du 4 au 6 septembre 2020) par Ian Bostridge. À la manière d’un périple dans l’Italie baroque, entre Venise et Naples, il nous propose de nombreux trésors, dont deux en première mondiale : « Soffrirà, -spererà » (Il Corispero d’Alessandro Stradella, 1677) et « Tien ferma Fortuna » (Le avventure di una fede de Cristofaro Caresana, v. 1675).
Visiblement en forme et très inspiré par ces pages, Ian Bostridge livre le meilleur de lui-même. Sa sensibilité à fleur de mots (sa diction est comme toujours ciselée), son timbre svelte traduisent admirablement les affres évoquées dans les pages les plus tragiques : « Io resto solo ?… Misero, cosi va » (Eliogabalo de Francesco Cavalli, 1667), « Berenice, ove sei ? » (Il Tito d’Antonio Cesti, 1666), « Che speri, o mio core » (Il schiavo di sua moglie de Francesco Provenzale, 1672) ou « Gelido in ogni vena » (Il Farnace d’Antonio Vivaldi, 1731).
Dans un registre plus délié et volubile, le ténor britannique sait aussi trouver la ressource expressive adéquate, comme en témoignent « Se il mio paterno amore » (Siroe de Leonardo Vinci, 1726) ou « Nuove straggi, e spaventi » (Il faraone -sommerso de Nicola Fago, 1709). L’équilibre dynamique sur les vocalises n’affecte jamais le propos dramaturgique ; au contraire, il le soutient et le transcende.
Quant à la brève chanson napolitaine traditionnelle (Lu cardillo), qui clôture le disque avec charme, elle offre un ensoleillement mélancolique des plus tendres. Dans une certaine mesure, les inflexions diaprées d’Ian Bostridge ne sont pas sans rappeler la voix souple, altière et finement timbrée de son regretté compatriote Anthony Rolfe Johnson.
Saluons bien bas le travail instruit et passionné d’Antonio Florio, accompagnateur de haut vol, qui déroule un tapis sonore d’une rare beauté. À la tête de son ductile ensemble Cappella Neapolitana, on ne sait ce qu’il faut admirer le plus, entre la subtilité des coloris, la sensualité des phrasés, ou encore l’ample et pénétrante respiration instrumentale.
Tout porte ici l’émotion à son plus noble degré. Plus qu’un simple disque, un véritable cadeau !
CYRIL MAZIN