Je pourrais évidemment, une fois encore, revenir sur les conséquences du Covid sur la programmation des théâtres et salles de concert, au cours des dernières semaines : représentations supprimées, changements de distribution incessants, complications liées à la mise en place du passe vaccinal… Le 21 février, au moment où j’écris ces lignes, elles sont encore nombreuses et appellent, inévitablement, des réponses financières de la part des pouvoirs publics.
En France, comme le syndicat professionnel Les Forces Musicales, regroupant maisons d’opéra, orchestres et festivals, le constate dans un communiqué du 11 février : « Pour faire face aux multiples pertes, annulations ou remplacements suite à des contaminations, érosion du public, mise en œuvre du passe vaccinal, etc., aucun dispositif de compensation permettant de couvrir les situations (non prises en compte dans le cadre de l’activité partielle ou des exonérations de charges) n’est encore en place à ce stade, en particulier pour les collectivités territoriales. »
Mieux vaut, me semble-t-il, regarder vers l’avant et se réjouir, en ce mois de mars, de la création annoncée de productions passionnantes, reportées il y a très exactement deux ans, au début de la pandémie. Opéra Magazine leur ayant consacré, à l’époque, des avant-papiers, je vous invite à les relire : Irrelohe de Schreker, à Lyon ; South Pacific de Rodgers et Hammerstein, à Toulon ; Platée de Rameau, à Toulouse, puis à Versailles (voir O. M. n° 159 pp. 7-11 de mars 2020). Sans oublier le Pelléas et Mélisande de Montpellier, initialement prévu en juin de la même année.
Yannick Nézet-Séguin figure en couverture du numéro que vous tenez entre les mains, à l’occasion de la création au Met de la version originale française de Don Carlos, qu’il dirige à New York, jusqu’au 26 mars. Dans l’entretien publié plus loin, il insiste sur la question de la diction, « de première importance », comme il le souligne. Celle-ci est, dans tous les cas, primordiale et le cas de Don Carlos est emblématique, tous les mélomanes ayant en mémoire la calamiteuse gravure de studio, réalisée sous la baguette de Claudio Abbado, en 1983-1984, qui avait coûté une fortune à Deutsche Grammophon pour un résultat consternant, à de rares moments près, sur le plan de l’intelligibilité du texte.
Même si la couleur de la langue française jette un éclairage différent – et tellement précieux – sur l’ouvrage, il aurait mieux valu, avec la distribution réunie à Milan, enregistrer la version -italienne en cinq actes de 1886, en y ajoutant une traduction des passages manquants, par rapport au manuscrit original de 1866-1867. Et attendre, pour se lancer dans l’édition française, de disposer de chanteurs capables de lui rendre justice.
La situation est d’autant plus irritante que, depuis bientôt quarante ans, aucune maison de disques ne s’est à nouveau lancée dans l’aventure, contraignant les passionnés de Verdi à se rabattre sur des captations sur le vif ou radiophoniques, diffusées en CD ou en DVD, dont aucune ne coche toutes les cases, entre coupures et/ou distributions inégales. Et, vu la situation du marché aujourd’hui, on voit mal quelle firme relèvera le défi.
Pourtant, c’est le moment ou jamais. Car, comme François-Xavier Roth le rappelait en couverture de notre dernier numéro, nous avons la chance, en France, d’avoir des chanteurs merveilleux. J’en connais au moins deux pour chacun des rôles de Don Carlos, dotés d’une diction irréprochable. Mais qui les réunira dans un studio d’enregistrement ? Je crains qu’il ne faille, à moins d’un miracle, se contenter d’écouter « C’est mon jour, mon jour suprême » par Ludovic Tézier, dans son album Verdi (Sony Classical) et le duo « Le voilà ! c’est l’Infant… Dieu, tu semas dans nos âmes » par Benjamin Bernheim et Florian Sempey, dans le récital Boulevard des Italiens du premier, dont la sortie est annoncée pour le 8 avril (Deutsche Grammophon).
C’est déjà ça, mais on veut bien plus !
RICHARD MARTET