Bien connue des publics parisien et bordelais pour son interprétation lumineuse de Manon, son rôle fétiche, Amina Edris vient d’effectuer ses débuts en Violetta (La Traviata) à l’Opéra de Limoges. La soprano égyptienne, qui a grandi en Nouvelle-Zélande, aborde sa carrière internationale, les possibilités de la voix et son attachement aux personnages opératiques, de Rameau à Massenet.
Vous avez commencé la musique avec le trombone. Abordez-vous le chant comme un instrument à vent ?
La voix et le trombone ont beaucoup en commun. Au trombone, le legato n’est pas uniquement le fait du souffle, mais aussi de la coulisse. La maîtrise du chant vient également d’un mélange de plusieurs paramètres. Les deux instruments utilisent la respiration dans une extension du corps. La force de l’orchestre entre aussi en jeu. Quand on répète avec orchestre après avoir répété avec piano (ou seule dans le cas du trombone), on peut s’exprimer, on ressent les choses plus pleinement. L’orchestre me donne l’impulsion et l’intensité du personnage, qui ensuite s’intègre à la voix.
Vous avez lu La Dame aux camélias pour préparer La Traviata à l’Opéra de Limoges. Quels traits du personnage d’Alexandre Dumas avez-vous gardés pour le rôle de Verdi ?
Ma Violetta de Limoges était surtout inspirée de Marie Duplessis [NDLR, maîtresse d’Alexandre Dumas fils qui a été la source vivante de La Dame aux camélias] que du personnage dans le roman. Quand j’ai lu son autobiographie, j’ai été frappée de voir à quel point elle avait pu monter les échelons dans la société en se construisant seule. C’était une self-made-woman très respectée au regard du métier de courtisane qu’elle exerçait. Le féminisme s’est développé bien après l’époque de Marie Duplessis, et en 2022, il est bien plus fréquent de rencontrer des femmes de cette envergure. J’étais très intriguée par la vie qu’elle s’était façonnée, par l’attraction qu’elle avait sur les gens, même sans faire partie de leur monde. C’est ce charisme naturel qui m’a vraiment nourrie pour l’essence même de Violetta dans cette production.
Vous interprétez à nouveau Violetta au printemps, à Toronto. La taille de la salle influe-t-elle sur la façon dont vous chantez un même rôle ?
Je n’y pense pas trop, en fait. J’ai commencé au San Francisco Opera [NDLR, avec plus de 3400 places], j’ai grandi avec les grandes salles des États-Unis et du Canada. Je garde en revanche la même voix, le même instrument. Dans les théâtres européens, je peux sans doute aller plus loin dans les pianissimi. Pour le reste, je ne touche à rien. Mon professeur me disait de toujours chanter avec ma voix, quelle que soit la taille de la salle. Avec la technique, on peut gérer toutes les situations.
Violetta et Manon sont en quelque sorte les deux faces psychologiques d’une même pièce. Avez-vous travaillé La Traviata avec votre expérience du personnage de Manon ?
Oui, même si l’évolution de Manon est un peu différente. Au début, Manon a 16 ans, puis sa vie change très vite au cours de l’opéra. L’évolution du personnage apparaît naturellement dans la musique. Violetta est jeune aussi, mais sa situation ne change pas aussi radicalement que celle de Manon. Elles se retrouvent dans leur voyage psychologique, que les deux œuvres explorent à travers différentes couches musicales. Manon est un peu égoïste, et ce n’est qu’à la toute fin qu’elle admet à Des Grieux avoir fait les mauvais choix. Violetta, au contraire, se sacrifie pour des raisons honorables, et en paye le prix d’une autre façon.
Comment passez-vous d’un répertoire à l’autre ?
Mes parents travaillaient dans le tourisme, donc j’ai été très tôt entourée de cultures très différentes. Quand nous avons émigré en Nouvelle-Zélande, le choc culturel n’a pas été trop rude, car j’avais conscience que d’autres cultures existaient en dehors de la mienne. Je dirais que c’est la même chose pour la musique. On peut l’interpréter de différentes façons, c’est à chaque fois une exploration nouvelle. Un même rôle sera différent en fonction des rencontres avec des chefs d’orchestre et des metteurs en scène. Les chanteurs grandissent aussi avec leurs personnages. L’idée qu’on se fait d’un rôle évolue en même temps que soi. Je suis sûre que ma prochaine Violetta à Toronto sera très différente de celle de Limoges. Ne jamais cesser d’explorer, c’est un des grands avantages de ce métier.
Vous incarnez La Folie dans Platée à l’Opéra national de Paris deux ans et demi après avoir chanté dans Les Indes galantes au Grand Théâtre de Genève…
J’ai hésité quand on m’a proposé Les Indes galantes car je n’avais jamais chanté de baroque. La technique et l’approche étaient complètement nouvelles pour moi. J’ai vraiment aimé faire prendre à ma voix des facettes que je n’avais pas forcément pu utiliser dans d’autres répertoires. Dans Les Indes galantes, je restais surtout concentrée sur ma voix, pour avoir la meilleure approche possible du baroque français. La Folie sera même plus jouissive à interpréter car le rôle est plus théâtral. J’ai vraiment hâte de retrouver Laurent Pelly, avec qui j’ai travaillé à San Francisco sur Don Pasquale. Il est extrêmement intelligent, et authentique avec la musique. Il aime faire correspondre les gestes à la musique, il est fidèle à l’histoire, tout en modernisant le propos.
Chantez-vous d’autres genres musicaux que l’opéra ?
Parfois, pour les bis, je chante du jazz, cela me ramène à l’époque avant que je ne commence l’opéra. C’est bien d’être flexible et de chanter autre chose. Je chante encore aussi beaucoup de musique arabe : Oum Kalthoum, Fairouz… L’agilité dans les ornements de la musique arabe se marie bien avec celle de l’opéra, notamment dans les coloratures. C’est aussi une musique avec laquelle j’ai grandi et qui m’a aidée dans ma façon d’aborder l’opéra.
PROPOS RECUEILLIS PAR THIBAULT VICQ
Prochainement dans :
- La Traviata (Violetta), à la Canadian Opera Company (Toronto) de 23 avril au 20 mai 2022
- Platée (La Folie), à l’Opéra national de Paris (Palais Garnier) du 7 au 12 juillet 2022