Opéra Royal de Wallonie, 30 janvier
Le Dernier Sorcier, c’est d’abord une histoire d’amitié, celle de Pauline Viardot et Ivan Tourgueniev, récemment évoquée par Gérard Condé dans ces colonnes (voir O. M. n° 177 p. 24 de novembre 2021). Dans les années 1860, après avoir quitté la scène, la célèbre cantatrice s’installe avec son mari, à Baden-Baden, où l’écrivain russe ne tarde pas à les rejoindre. Elle s’associe alors à son vieil ami pour composer trois « opéras de chambre », avec accompagnement de piano.
Créé en privé, le 20 septembre 1867, Le Dernier Sorcier est également une histoire de famille, puisque les enfants Viardot y tiennent la majorité des rôles. Après plusieurs représentations publiques, en 1869 et 1870, l’ouvrage tombe dans l’oubli jusqu’au début du XXIe siècle, quand il retrouve le chemin de la scène, aux États-Unis, avant d’être enregistré en studio, en 2018, chez Bridge Records.
Nous ne reviendrons pas sur l’intrigue, racontée par Gérard Condé dans sa critique de ce disque (voir O. M. n° 177 p. 74 de novembre 2021). Mais nous nous attarderons sur la partition, dont la nouvelle production de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège confirme les qualités déjà soulignées par notre confrère.
Si l’argument féerique du Dernier Sorcier a tout pour séduire les petits, la musique est loin d’être enfantine. Arrangée ici pour piano et percussions, elle démontre le talent mélodique de celle qui fut l’élève de Liszt – même si c’est surtout à Offenbach et Delibes que l’on pense, en écoutant les superbes airs de Stella, dont la tessiture annonce celle de Lakmé et Olympia.
La soprano Marion Bauwens apporte sa grâce, la fraîcheur et la souplesse de sa voix, à ce rôle attachant de jeune femme parvenant à infléchir la rudesse paternelle. Le baryton Roger Joakim est un truculent Krakamiche (le « dernier sorcier » du titre), s’accrochant avec un désespoir grotesque à sa gloire passée, et flanqué d’un acolyte non moins ridicule, Perlimpinpin, campé par le ténor Vincent Ordonneau.
Le Prince Lélio (mezzo en travesti) apporte la touche romantique de l’œuvre. Plus introspectives que démonstratives, les interventions de Marie-Catherine Baclin apparaissent, du coup, un peu en retrait au milieu du foisonnement ambiant. Autre mezzo, Blandine Coulon s’impose, en revanche, en Reine des Elfes : son aplomb et la richesse de son timbre en font une chanteuse à suivre.
Dans sa mise en scène, Davide Garattini Raimondi choisit d’exploiter la veine écologique de ce petit opéra. Tels des cocons accrochés aux arbres, d’immenses sacs-poubelle défigurent la forêt polluée par le règne de Krakamiche, lui-même doté d’un couvre-chef orné de bouteilles en plastique.
Le trait n’est toutefois pas appuyé, et l’œil est davantage attiré par les chrysalides aériennes des costumes des Elfes, ou encore les papillons flottant dans la chevelure de Stella et le chapeau de Lélio. Et comme les contes se terminent bien, le bois est finalement réinvesti par les Elfes, et débarrassé de ses déchets.
La modestie de l’effectif instrumental ne nuit en rien à l’impact de la musique : le piano de Véronique Tollet déploie ses trésors polyphoniques, les percussions de Lucas Bovy lui apportant un superbe contrepoint. La direction, précise et souple, d’Ayrton Desimpelaere assure la cohésion de ce spectacle tout à fait charmant, qui séduit visiblement aussi bien les petits que les grands.
KATIA CHOQUER