Le chef français est sur tous les fronts. Pour s’en tenir à l’opéra, en ce mois de février, il dirigera Die Soldaten avec le Gürzenich-Orchester de Cologne, ville dont il est le « directeur général de la musique », au fil d’une tournée qui culminera à la Philharmonie de Paris, le 23. Puis, à partir du 30 avril, toujours à Cologne, il sera au pupitre d’une nouvelle production de Béatrice et Bénédict, avant d’enchaîner avec le diptyque Djamileh/La Princesse jaune, à partir du 19 mai, cette fois à l’Atelier Lyrique de Tourcoing, où il occupe les fonctions de directeur artistique. Il dirigera, en cette occasion, l’orchestre Les Siècles, qu’il a fondé en 2003, comme dans la nouvelle intégrale de Pelléas et Mélisande qui sortira en mars, chez Harmonia Mundi, avec une distribution entièrement française pour les rôles principaux.
L’opéra semble occuper une place de plus en plus importante dans votre carrière…
Je suis très reconnaissant envers le Théâtre de Caen de m’avoir confié plusieurs productions, lorsque j’étais jeune chef d’orchestre. J’ai aussi dirigé un certain nombre d’opéras avec mon orchestre Les Siècles. Mais il est vrai que j’en fais davantage depuis mon arrivée à Cologne, en 2015. Un partenariat vient également de débuter avec le Théâtre des Champs-Élysées. Peut-être ces projets sont-ils plus visibles ? S’y ajoute, bien sûr, l’Atelier Lyrique de Tourcoing, dont j’ai pris la direction artistique, en 2019, mais aussi des maisons avec lesquelles je vais travailler plus souvent dans le futur, comme le Staatsoper Unter den Linden de Berlin et le Bayerische Staatsoper de Munich. L’opéra a toujours été présent dans mon activité, avec un regard, non pas méfiant, mais empreint d’une certaine distance, de manière à ne pas en faire trop. Car le danger, pour un chef, est de se retrouver dans une position de « super-organisateur ». C’est pourquoi j’ai toujours essayé de faire en sorte qu’il reste un événement festif, à l’opposé de la routine.
Comment éviter cet écueil de la routine ?
J’ai ce privilège d’être libre de choisir tout ce que je fais – même s’il s’agit d’une reprise, comme Pelléas et Mélisande au Théâtre des Champs-Élysées, dans la mise en scène d’Éric Ruf, en octobre dernier (1). Du point de vue du répertoire, je tâche de m’inscrire dans une trajectoire, qui peut d’ailleurs être analysée un peu bizarrement, parce que j’ai souvent abordé l’opéra romantique français, genre assez compliqué pour le grand public, et même, encore aujourd’hui, pour les connaisseurs. En ce qui concerne Wagner, j’ai essayé de suivre une certaine chronologie, en commençant par Der fliegende Holländer. J’ai ensuite fait Tannhäuser, Tristan und Isolde, et je vais maintenant me rattraper avec Lohengrin. Je tiens aussi à garder une variété. Je me réjouis, dans les années à venir, de diriger de grandes créations d’opéra contemporain, dont je suis à l’initiative. Cela me plaît particulièrement de pouvoir dialoguer avec les compositeurs sur ce que ce genre peut devenir, et comment il peut se développer encore, aujourd’hui et dans le futur.
Y a-t-il des répertoires en direction desquels vous ne souhaitez pas aller ?
Le bel canto ne m’intéresse pas du tout. Mais ce n’est pas grave ! Et aussi certains titres. On m’a, par exemple, souvent demandé pourquoi je n’avais jamais dirigé Carmen. Il est vrai que le répertoire lyrique qui tend, de manière un peu systématique, à ne valoriser que le plateau, avec évidemment de merveilleuses ficelles musicales, ne m’attire pas. Et toutes les conventions ont tendance à me fatiguer à l’opéra. Je préfère donc me concentrer sur les choses que j’aime profondément.
À Cologne, vous faites, cet hiver, le grand écart entre le wagnérisme extatique d’Engelbert Humperdinck dans Hänsel und Gretel, et le dodécaphonisme de Bernd Alois Zimmermann dans Die Soldaten. Comment passez-vous de l’un à l’autre ?
Chaque artiste a un éclectisme, qu’il revendique plus ou moins, ou qu’il assume. Certains de mes choix, s’ils peuvent paraître surprenants, font sens pour moi. J’ai abordé Hänsel und Gretel, voici plusieurs années, à Caen, dans un magnifique spectacle de Yannis Kokkos. J’avais alors vraiment découvert Humperdinck. Ce compositeur aurait pu faire une carrière absolument fulgurante, mais il a été happé par d’autres métiers, dont celui de critique… Il a été une sorte d’extraordinaire couteau suisse, et a réalisé, avec Hänsel und Gretel, une œuvre qui me fascine toujours davantage. J’étais donc ravi de la reprendre. Die Soldaten, que j’ai fait à Cologne, en 2018, dans une très belle production de La Fura dels Baus, a vraiment, à l’égal peut-être de Pelléas et Mélisande et Wozzeck, transformé l’opéra au XXe siècle. J’ai ressenti un avant et un après, en dirigeant cette œuvre, tellement elle m’a marqué au fer. C’est un bonheur extraordinaire de pouvoir la refaire, avec la complicité de Calixto Bieito à la mise en scène. D’autant que nous allons la jouer dans des auditoriums – à Cologne, Paris et Hambourg –, avec un dispositif acoustique idéal pour rendre justice à cette musique.
En quoi est-ce une œuvre pivot, et unique, dans le XXe siècle ?
Le choix du livret, avec ses différents temps en parallèle, constitue une invention, et une modernité. Ce drame lyrique contient de grands moments de mélancolie, de douceur, et en même temps de noirceur, de sarcasme, et de violence. En tant qu’homme profondément meurtri, abîmé par cette Allemagne, Zimmermann a été, à un moment donné, une sorte de catalyseur de tout ce qu’avait pu transpirer l’Europe post-Seconde Guerre mondiale, qu’il a sorti de sa chair et de sa psyché. La manière dont il a composé cet opéra n’est pas du tout anodine : les premières versions étaient injouables, disait-on à l’époque. Günter Wand, l’un de mes prédécesseurs au Gürzenich-Orchester, et Michael Gielen, qui a dirigé la première mondiale, à Cologne, n’ont eu de cesse qu’ils n’obtiennent des corrections pour que l’œuvre soit simplement faisable. À la création, elle a été presque jetée avec sa violence de facture même. C’est une sorte de phénomène qu’on ne peut pas expliquer. En tout cas, un peu à l’égal de la Symphonie n° 9 de Beethoven, ou de tous ces grands chefs-d’œuvre, on sort différent d’une représentation de Die Soldaten.
Comment va-t-on au bout d’une œuvre pareille, comme de toutes ces partitions qui sont des mondes en soi ? Certains chefs ont dit que Tristan und Isolde pouvait rendre fou…
Je crois qu’il y a quand même une sorte de malentendu sur le faire du chef d’orchestre, notamment à l’opéra. Une grande partie, si ce n’est l’essentiel de notre activité, est de permettre aux interprètes, chanteurs et instrumentistes, de s’exprimer. On peut recevoir, être même envahi par un certain nombre d’émotions, mais ce n’est pas du tout ce qui nous guide – du moins en ce qui me concerne. S’attacher à la facture, au plan, à la ligne, à la structure, est déjà un monument extraordinaire. Les difficultés techniques, dans Die Soldaten, sont grandes, notamment dans les contrastes. On a quelquefois l’impression de diriger un Quatuor de Webern, tant la musique est transparente. Et d’autres moments sont des tsunamis très sonores. Les scènes où le jazz se mélange donnent lieu à une sorte de polyrythmie extrêmement sophistiquée, qu’il faut coordonner au mieux. Et puis, il y a ces émotions qui jaillissent de la partition, et nous éclaboussent, moi y compris – car je ne suis pas un cœur de pierre, bien au contraire ! C’est pareil pour Tristan, et le cinquième acte de Pelléas. On se demande comment on va aller jusqu’au bout. Il ne faut justement pas se laisser emporter. Nous sommes, dans la fosse, dans un autre temps, qui précède cette émotion reçue par le public.
Vous avez dirigé Pelléas et Mélisande à l’Opéra de Lille, en mars 2021, avant de l’enregistrer en studio dans la foulée, pour Harmonia Mundi. Rétrospectivement, quel regard portez-vous sur ce disque, alors que vous venez de reprendre l’ouvrage au Théâtre des Champs-Élysées, dans une autre production ?
C’était très bien ainsi, parce que les deux distributions, à l’exception de l’Arkel de Jean Teitgen, étaient complètement différentes. Nous avons donc fait un autre travail, aussi passionnant, avec les chanteurs du TCE ; la malheureuse Patricia Petibon qui, hélas, ne pouvait pas chanter – elle était doublée par Vannina Santoni –, était sur scène, présente, et avec quelle force ! À Lille, où nous avons quand même pu jouer deux fois, à huis clos, pour un streaming, puis pendant l’enregistrement, nous avons vécu un moment entre parenthèses, dans le dur du confinement – j’ai moi-même eu le Covid pendant les répétitions, et me suis isolé chez moi ! Nous avons vraiment fait, avec Julien Behr (Pelléas) et Alexandre Duhamel (Golaud), un travail sur le retour au texte, au plus près de ce que Debussy avait imaginé. Comme, en l’absence de public, les chanteurs avaient le luxe de ne pas avoir à se préoccuper de la balance, je leur ai demandé d’essayer de dire le texte, quelquefois au plus simple, au plus cru. C’était extraordinaire, parce que la tendance qu’on a parfois à porter trop haut cette langue peut en abîmer la facture même. Et quelle joie, ayant joué tout Debussy avec l’orchestre Les Siècles, de découvrir cet ouvrage ensemble ! Les représentations du TCE ont été fantastiques – quoique complètement différentes, puisque nous étions en public –, marquées par ma rencontre avec Stanislas de Barbeyrac (Pelléas) et Simon Keenlyside (Golaud).
Qu’est-ce qui vous paraît le plus significatif dans ce que les instruments d’époque apportent à cette partition ?
Avec les instruments du début du siècle dernier, on comprend mieux les décisions d’orchestration prises par Debussy. Parce qu’il y a soudainement une évidence, dans la dimension fondamentalement novatrice d’une couleur et d’un alliage qui surprennent par des sonorités, tantôt sombres, tantôt étincelantes – dans les scènes de la grotte et des souterrains, mais aussi au bord de la fontaine. Avec ces harpes Érard, ces cordes en boyau, ces bois de facture française, la poésie de la diction des instruments est très différente. Un ensemble moderne rend Pelléas beaucoup plus banal, avec un côté carte postale. Après notre version de concert à la Philharmonie de Cologne, un ami très cher de la Radio bavaroise m’a fait le plus beau compliment, en me disant que l’orchestre Les Siècles avait, dans ce répertoire, une sonorité unique. C’est vrai, non pas parce que c’est nous, mais parce que notre travail cherche à rendre justice à cette musique, en donnant à entendre ces couleurs et ces sonorités vraiment singulières.
Cette recherche dissipe-t-elle cette nappe faussement impressionniste associée à Pelléas et Mélisande, pour donner au discours davantage de mordant, de cruauté, peut-être ?
À certains moments, les sonorités sont, en effet, plus âpres. Mais la douceur est aussi, si je peux me permettre, plus douce ! L’étagement des niveaux de sensualité du son et des accords est encore plus prégnante. C’est, du moins, ainsi que je l’entends. Pelléas est rempli de nuances, quelquefois sur un temps, une croche, un geste. Et Debussy le répète à l’envi. C’est très compliqué à faire avec un orchestre moderne, alors que les instruments de cette époque y répondent naturellement. C’est dans leur ADN.
D’où Pelléas et Mélisande vient-il, et jusqu’où mène-t-il ?
On dit souvent que c’est le premier opéra de l’ère nouvelle, mais il ne vient pas de nulle part. Il a des racines bien trempées, notamment dans une grande lignée de tragédies lyriques françaises – de Rameau, de Gluck, de Berlioz. Et certaines mesures pourraient avoir été écrites par Massenet ! Debussy était empreint de ces musiques : il doit son premier choc orchestral à Namouna de Lalo. Et il était, comme Ravel, fou de Chabrier. Son rapport à Wagner était très compliqué, mais il n’en éprouvait pas moins une fascination qui imprègne sa manière de composer, par un goût du leitmotiv poussé dans toutes ses possibilités. Pelléas marque néanmoins une rupture, et annonce Wozzeck, Die Soldaten, et jusqu’à Written on Skin.
Quand vous dirigez le Gürzenich-Orchester, que ce soit dans Tristan und Isolde, Hänsel und Gretel, ou bientôt Béatrice et Bénédict, recherchez-vous aussi un son particulier ?
Je n’ai pas spécialement envie d’avoir un son, mais j’ai des préoccupations ! La région du Rhin a été baignée par Beethoven, Schumann, tous les grands compositeurs venus créer leurs œuvres avec le Gürzenich, ainsi que par la grande tradition de l’opéra allemand. J’ai appris beaucoup de cet orchestre, auquel j’ai aussi amené quelque chose. Parce que je dirige Wagner dans une trajectoire découlant de Bach et Haydn, plutôt que dans une célébration post-romantique, qui viendrait uniquement des Symphonies de Bruckner ou de Mahler. Fort de ce travail, j’arrive à des conclusions, de l’ordre de l’articulation, de la transparence, de l’appréhension des voix… Mais je n’impose jamais une sonorité.
Béatrice et Bénédict garde une assez mauvaise réputation, sur le plan théâtral plus que musical, d’ailleurs. Comment faire sortir cette œuvre de son purgatoire ?
Berlioz n’a vraiment pas eu de chance avec l’opéra. Il a pris un four avec Benvenuto Cellini, n’a pas vu Les Troyens en entier, et Béatrice et Bénédict, qu’il a vécu comme une expérience heureuse, dans ce magnifique petit théâtre de Baden-Baden, où les musiciens étaient contents de jouer sa musique, suscite désormais l’incompréhension, voire l’embarras, à la lecture d’un texte pourtant adapté de Shakespeare. Je trouve cette œuvre très touchante. À Cologne, il s’agit d’un cycle, puisque j’ai commencé mon mandat avec Benvenuto Cellini, et que je vais donner, très bientôt, Les Troyens. Nous devions déjà monter Béatrice et Bénédict pendant le premier confinement, dans la mise en scène de Jean Renshaw. Nous avons un plateau merveilleux, avec des chanteurs que j’aime beaucoup, pour cette pièce très poétique, drôle à certains moments, et qui possède une fraîcheur vraiment particulière.
Vous avez noué des relations très fidèles avec certains chanteurs. Quelles qualités avez-vous trouvées chez eux ?
J’apprécie beaucoup le compagnonnage avec eux. Un chef d’orchestre pourrait avoir tendance à ne vouloir être entouré que de personnes qu’il connaît, et donc à les distribuer dans des parties qui ne leur conviennent pas forcément. Je rencontre très régulièrement des chanteurs, et j’en auditionne énormément. J’aime aussi soutenir des artistes comme Isabelle Druet, qui ne fait absolument pas la carrière qu’elle mérite dans l’Hexagone, ou Marie Lenormand, que j’avais dirigée dans Mignon, en 2010, à l’Opéra-Comique, et beaucoup d’autres. Nous avons la chance, en France, d’avoir des chanteurs merveilleux ! Ils sont demandés dans les plus grands théâtres du monde. Nous devons en être fiers… Et les soigner, aussi. J’ai été très admiratif de ce qu’a fait Stanislas de Barbeyrac, pendant le premier confinement, pour défendre ses collègues. À Tourcoing, nous avons payé tous les artistes, car il est important de soutenir financièrement ces merveilleux musiciens.
L’Atelier Lyrique de Tourcoing, où vous avez pris la succession de Jean-Claude Malgoire (1940-2018), est notamment connu pour être un inépuisable vivier de chanteurs…
Nous avons voulu, avec Enrique Thérain, l’administrateur de l’Atelier Lyrique, rester dans la continuité de ce que Jean-Claude Malgoire avait créé de toutes pièces, sur un modèle unique au monde – de par la taille de Tourcoing, sa proximité avec Lille, qui a déjà un Opéra, et la Belgique, et puis cette énergie à l’endroit de tous les répertoires, avec pour point commun les instruments d’époque. Nous allons porter cet étendard de l’excellence avec des ensembles indépendants : Les Siècles, bien sûr, mais aussi Les Ambassadeurs-La Grande Écurie d’Alexis Kossenko, et tant d’autres… Raphaël Pichon, Sébastien Daucé, René Jacobs, Philippe Herreweghe, tout le monde va venir à Tourcoing, encore plus qu’avant. Pour que ce soit un des endroits où l’on puisse voir, en France, cette haute qualité que toute l’Europe nous envie, avec un intérêt particulier pour les jeunes générations, en soutenant non seulement des chanteurs, comme le faisait Jean-Claude, mais aussi des projets. C’est la raison pour laquelle nous avons créé la résidence-tremplin « Jean-Claude Malgoire » : une série de rencontres est prévue, avec les plus grands noms – Sabine Devieilhe, Stanislas de Barbeyrac, Michael Spyres –, au sein d’une programmation très éclectique. Grâce à notre incroyable position géographique et à une volonté politique assumée, il s’agit de faire en sorte que la culture, et plus particulièrement la musique, jouent un rôle décisif dans la vie des gens, et notamment ceux qui en ont le plus besoin. Je veux faire perdurer, et développer encore cette philosophie. Car ces enjeux ont toujours été essentiels pour moi. Il n’existe pas d’autre solution que de se retrousser les manches et d’y aller !
Avez-vous plus de moyens que n’en avait Jean-Claude Malgoire ?
Comme Raphaël Pichon, Sébastien Daucé, et tant d’autres, je suis un « enfant de Malgoire », et je partage la même philosophie, mais portée par une autre énergie, une autre génération, aussi. Les moyens sont restés constants. Pas d’augmentation, ni de diminution : avec l’inflation, il est donc forcément de plus en plus compliqué d’équilibrer financièrement les projets. Un de mes grands objectifs est d’arriver à faire construire un auditorium, pour pouvoir donner plus de musique dans de meilleures conditions – d’autant que la disponibilité du Théâtre Municipal Raymond-Devos n’est pas extensible. Il reste des choses à parfaire à Tourcoing, mais j’ai été très bien reçu.
Comment allez-vous trouver le temps, dans votre agenda déjà très chargé, d’avoir un minimum d’ancrage à Tourcoing, pour incarner ce lieu, sans doute différemment de Jean-Claude Malgoire ?
Dans des aventures pareilles, il est impossible, même avec la meilleure volonté, de réussir un copier-coller. Les temps changent, les personnalités sont différentes. Mon épouse et moi avons acheté une maison à Tourcoing, où j’habite la majorité du temps, quand je suis en France. Et j’ai la chance que cette ville, comme je l’ai déjà dit, soit idéalement située. Les liens que j’ai déjà créés avec de grands théâtres européens vont permettre de faire circuler les projets de l’Atelier Lyrique dans les années à venir, ce qui me fait très plaisir.
Vous y dirigerez, en mai, Djamileh de Bizet et La Princesse jaune de Saint-Saëns…
Ce sont deux immenses compositeurs, avec deux petits diamants, qui ont en commun un attrait pour l’ailleurs, l’exotisme, les autres cultures. Ce n’est pas du tout un hasard, si nous présentons ces œuvres à Tourcoing, modèle de cette France multiculturelle. Il y a des problèmes, comme partout, mais je trouve très forte cette identité des territoires du Nord, particulièrement dans cette ville. J’ai beaucoup célébré Saint-Saëns, avec Les Siècles notamment, et je suis très heureux de pouvoir donner La Princesse jaune, dont je ne dirigeais que l’Ouverture, et que j’ai la chance de faire maintenant dans son intégralité.
La reprise de Pelléas et Mélisande a marqué le coup d’envoi d’un partenariat avec le Théâtre des Champs-Élysées, dans la fosse duquel l’orchestre Les Siècles va se produire chaque saison…
Non seulement dans la fosse, mais aussi sur scène ! Le TCE a, en effet, accueilli notre projet avec beaucoup de dynamisme, d’impatience et de gourmandise. Nous y serons donc plusieurs fois par an, que ce soit pour l’opéra, les concerts, mais aussi énormément de médiation avec les familles. Nous allons faire des choses passionnantes, très éclectiques, dans ce théâtre que je découvre de l’intérieur. C’est un lieu comme je les aime, à taille humaine, où règne une véritable ambiance de maison d’opéra et de spectacle.
Comment votre collaboration avec le Palazzetto Bru Zane se déroule-t-elle ?
C’est une relation de plusieurs années. Le Palazzetto est une immense force de proposition, et il nous a fait découvrir énormément de choses… C’est une grande chance que d’avoir, pour la musique française, leurs chercheurs, Alexandre Dratwicki en tête. Car, de même que pour la création contemporaine, où l’on prend le risque, en commandant une œuvre, d’être déçu, ces redécouvertes ne sont pas toutes des chefs-d’œuvre. Mais certaines sont passionnantes. Le Timbre d’argent de Saint-Saëns reste pour moi un souvenir extraordinaire – et je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi il n’est pas programmé autant que Les Contes -d’Hoffmann qui, dans le même registre, a tout raflé !
La défense de ce patrimoine musical demande-t-elle une plus grande force de conviction ?
Les musiciens ressentent très bien quand le fil de la continuité de l’interprétation d’un opéra a été rompu. Quelquefois pour le meilleur, quelquefois pour le pire. Parce que nous n’avons plus de référence claire, qui nous donne une connaissance de l’œuvre, de son vocable, de la manière dont elle se déroule. Mignon, par exemple, qui était un « tube » absolu, a disparu soudainement des affiches. Était-ce une question de mode ? Cette partition a peut-être pâti de l’avènement de la stéréo : on se pâmait uniquement devant les opéras de Wagner ou de Richard Strauss ; en comparaison, elle était considérée comme quantité négligeable. Mais quand on étudie cette musique, quand on la respecte, elle est extraordinaire. C’est un grand plaisir d’avoir dirigé tous ces ouvrages méconnus – et il m’en reste encore tant d’autres à faire !
Propos recueillis par MEHDI MAHDAVI
(1) L’entretien a été réalisé à Paris, le 18 novembre 2021.