On ne présente plus la soprano Julie Fuchs qui nous a accordé un moment pour nous parler de sa vie d’artiste lyrique et des perspectives de l’opéra. Parmi ses nombreux projets, dont l’enregistrement d’un nouvel album, Julie sera Mélisande à partir du 28 février au prestigieux Gran Teatre del Liceu de Barcelone.
Comment abordez-vous des rôles si différents : l’énigmatique Mélisande, la Folie de Platée qui est un personnage allégorique, Suzanne la servante rusée ?
Je lis toujours le livret à sec, pour ne pas être influencée par la musique. A chaque fois je suis surprise et je découvre que certaines idées qu’on peut avoir d’un rôle sont infondées. Cette lecture permet de me familiariser avec le rôle mais je n’arrive pas en répétitions avec une idée ferme sur la façon dont je vais l’aborder. Ma rencontre avec les personnages que j’interprète se fait en grande partie avec les metteurs en scène. En revanche, je ne copie pas l’interprétation d’un personnage par une autre chanteuse : je vais être moi-même avec ce que la musique m’inspire, ce que les collègues me renvoient et grâce aux conseils du metteur en scène de la production. Je n’ai pas de problème à passer d’un rôle léger et joyeux à un rôle plus dramatique qui peut me renvoyer à quelque chose de très sombre en moi.
Comment travaillez-vous votre voix ?
Je travaille sur mon corps de façon globale : je fais du yoga, des étirements, un peu de sport, je médite, je me fais masser, j’utilise des huiles essentielles… J’ai un professeur de chant qui est formidable, Elène Golgevit, que beaucoup de chanteurs connaissent et que je connaissais avant qu’elle soit professeur au CNSMDP (Conservatoire National de Musique et de Danse de Paris, N.D.L.R). Je la vois régulièrement, notamment lorsque j’ai des prises de rôles et une semaine par an pour ce que j’appelle ma « retraite », à la campagne et au calme. Je travaille aussi avec des chefs de chant à l’instar d’Alphonse Cemin, Mathieu Pordoy, Charlotte Bonneu, pour en citer quelques-uns. Leur aide est précieuse. Pour entrer plus en détail, je chauffe toujours ma voix avant les répétitions, je réveille les résonateurs, le souffle avec la paille, je travaille l’agilité. C’est essentiellement lorsque je suis au théâtre que je réalise ce travail technique. Je travaille peu chez moi finalement, si ce n’est à la table, pour traduire ou inventer des cadences. Comme ça je ménage mes voisins (rires).
Qu’est-ce qui vous différencie des autres sopranos, dans une catégorie vocale où il y a beaucoup de concurrence ?
Je ne suis pas la mieux placée pour répondre à ça mais ce que je peux dire c’est que dans ma manière d’aborder les rôles que j’interprète, je souhaite toujours y mettre beaucoup de naturel et conserver un caractère spontané sur scène. Notre métier c’est d’exprimer des émotions par le biais de notre voix et j’ai à cœur de faire se mêler le plus naturellement possible l’art de jouer et de faire de la musique avec une équipe. Lors d’une prise de rôle, j’arrive vierge de tout a priori et je me laisse porter par la musique qui est le meilleur des guides.
Quel est votre rapport à la scène, en quoi cela vous procure-t-il du plaisir ?
La scène me procure un plaisir absolument organique. Vibrer avec le public est une sensation indescriptible ! Il y a aussi le plaisir de chanter avec un orchestre, des vibrations qui en émanent, et cette folie qui est l’instant qui ne pourra jamais être le même une nouvelle fois et ça, c’est merveilleux. J’ai appris beaucoup dans la vie de l’expérience qui ne peut pas se produire une deuxième fois et c’est en cela que c’est primordial, presque sacré. Et il y a aussi le bonheur et l’honneur de chanter ces pages de musique sublimes.
J’adore presque tout autant être dans le public. Peut-être même de plus en plus pour écouter de la musique symphonique car aujourd’hui, quand je vais voir un opéra, les émotions sont souvent biaisées par l’empathie que je vais avoir pour mes collègues sur scène. Il m’est alors plus difficile de lâcher prise, de me laisser porter.
Aujourd’hui, avec du recul et avec le bagage accumulé dans ce milieu, que représente l’opéra pour vous ?
L’opéra a changé ma vie. Il a presque fait de moi une femme, en tout cas celle que je suis. L’opéra m’a rendu libre aussi. Faire un métier où on se présente au regard de l’autre peut être complètement destructeur mais on peut aussi se libérer de ce regard. Il faut savoir pourquoi on fait ce métier : est-ce pour plaire aux journalistes ? Pour plaire à sa famille qui vient nous écouter ? Pour rendre les gens heureux ? Ou simplement parce qu’on aime ça ? Ca soulève toutes ces questions et leurs réponses m’ont aidée à devenir une personne plus sereine.
Et dans votre cas, pourquoi faites-vous ce métier ?
Je dirais que ce qui m’anime le plus c’est l’amour que j’ai pour la musique, pour le théâtre pour la scène et parce que j’adore les gens, je les trouve fantastiques et travailler avec eux est si enrichissant. Visiter toutes ces œuvres, ces histoires, c’est aussi très intéressant pour se connaitre soi-même.
Qu’est-ce que c’est #operaisopen ?
Operaisopen est une initiative que j’ai créée pour montrer que l’opéra est un art ouvert. Tout le monde est plutôt d’accord là-dessus dans le milieu mais je continue à entendre « il faut faire ci, il faut faire ça » et je voulais montrer tout ce qui a déjà été fait pour qu’on arrête de dire que ce n’est pas possible d’aller à l’opéra. Sur mes réseaux sociaux notamment, je montre un peu ce qu’il se passe dans la vie d’une chanteuse pour désacraliser la chose et montrer que c’est un vrai métier, qui demande énormément d’investissement et que cet art fait appel à beaucoup de corps de métiers différents. J’aborde aussi la question des tarifs qui sont pratiqués par les maisons, pour les jeunes notamment. Je fais gagner deux places par production à condition qu’une des deux personnes vienne pour la première fois à l’opéra et ça fonctionne plutôt bien, il n’y a pas eu de tricheurs pour l’instant. Les gens sont toujours très contents de venir et j’aimerai que cette initiative prenne plus d’ampleur, qu’elle puisse accueillir plus de néophytes !
Le renouvellement du public à l’opéra est justement un sujet récurrent. Comment pourrait-on initier des gens à l’art lyrique selon vous ?
Ce qui est fou c’est que j’entends ce discours-là mais toutes les fois où j’ai discuté avec des personnes qui ne sont pas familières de l’opéra, j’ai pu entendre des réflexions comme « ah, je connais pas » ou « ah non c’est trop cher » mais on ne m’a jamais dit « j’aime pas l’opéra ! ». Les gens sont fascinés, curieux, intrigués, et parfois ils ne me croient pas quand je dis que je suis chanteuse d’opéra parce qu’ils ont souvent une vision erronée de ce qu’est un chanteur lyrique aujourd’hui. Je pense que c’est aussi aux artistes de semer des petites graines partout où ils passent. Pour moi c’est presque devenu une mission, partout où je vais. Évidemment, il faut faire des interventions dans les écoles, proposer des tarifs attractifs pour les moins aisés, faire des croisements entre les disciplines, diffuser des opéras à la télé à des heures de grande écoute, il y a plein de choses à faire.
Et que pensez-vous des remarques sur le côté élitiste de l’opéra qui maintien à distance les personnes qui ne sont pas des habituées des théâtres ?
Je ne peux plus entendre ça ! Ça existe à partir du moment où on le nomme. Il n’y a pratiquement plus de mises en scène classiques, aujourd’hui elles sont modernes et les chanteurs, les costumes le sont aussi. Oui, ça a un coût d’aller à l’opéra, mais c’est aussi une question de choix. Il y a plein de choses qui sont chères dans la vie mais qu’on va se permettre. Les gens économisent pour une paire de baskets hors de prix parce qu’elle leur a fait de l’œil dans une vitrine. C’est de ça dont on a besoin, de vitrines ! Il faut susciter l’envie, et il faut la cultiver.
Julie sera prochainement dans :
Pélléas et Mélisande (Mélisande) au Gran Teatre del Liceu de Barcelone du 28 février au 18 mars.
Les Noces de Figaro (Suzanne) au Teatro Real de Madrid du 22 avril au 12 mai.
Propos recueillis par MAXIME PIERRE