Régine Crespin, la vie et le chant d’une femme, par Jérôme Pesqué (Amazon)
Il y aura bientôt quinze ans que Régine Crespin n’est plus – la soprano française s’est éteinte, le 5 juillet 2007, octogénaire depuis peu. Sa vie, elle l’a racontée par deux fois : La Vie et l’amour d’une femme parut chez Fayard, en 1982 ; À la scène, à la ville, une version remaniée, fut éditée par Actes Sud, en 1997. Une confession sincère, sans complaisance, jusque dans les choix les plus douloureux, confirmant que celle que certains appelaient « La Crespin » était une femme comme les autres… ou presque – n’est pas cantatrice qui veut !
Dans le travail considérable effectué par Jérôme Pesqué, ne cherchez ni le sensationnel, ni l’hagiographie, mais le témoignage d’une admiration profonde et l’envie de retracer, aussi minutieusement que possible, une carrière exceptionnelle. Après les repères biographiques et un entretien, transcription d’une rencontre avec l’artiste, organisée par Pesqué, qui eut lieu à Nîmes, sa ville de cœur, le 15 avril 2000, commence une chronologie professionnelle aussi complète que les documents actuellement disponibles le permettent – l’auteur donne rendez-vous à ses lecteurs « pour une édition augmentée, celle des 100 ans de Régine Crespin, en 2027 ».
Que de chemin parcouru depuis les études de chant avec Fernande Kossa à Nîmes, dès 1943, le Conservatoire de Paris et la rencontre avec des professeurs aussi prestigieux que le ténor Georges Jouatte, le baryton Paul Cabanel et la soprano Suzanne Cesbron-Viseur : une apparition modeste à Reims… mais dans un rôle majeur, celui de Charlotte (Werther) – Régine se produit sans l’autorisation du Conservatoire ! Débuts officiels à Mulhouse, dans Elsa (Lohengrin) ; les mois qui suivront, elle s’emparera de Marguerite (Faust, puis La Damnation de Faust), Marina (Boris Godounov), Desdemona (Otello), Tosca, les ouvrages étrangers étant, selon les habitudes du temps, interprétés dans une traduction française. Quelques raretés, les années suivantes (L’Étranger de Vincent d’Indy, Antigone d’Arthur Honegger, Sigurd d’Ernest Reyer). Et de grandes premières, en 1953 : Sieglinde (Die Walküre) à Nice, puis Kundry (Parsifal) à Lyon, enfin, en novembre, la Maréchale (Der Rosenkavalier) à Marseille. D’ores et déjà, Crespin a balisé son terrain et endossé certains des rôles qui feront sa gloire, auxquels on se doit d’ajouter Didon dans Les Troyens (Lyon, 1958).
La suite s’écrit rapidement, le tout étant illustré ici par de nombreux extraits d’articles de la presse nationale et internationale : des représentations en province, des passages très remarqués à Paris, au Palais Garnier (entre autres, la création mondiale de Dialogues des Carmélites dans la version française, en juin 1957, où elle incarne Madame Lidoine) et Salle Favart (en Tosca, notamment). Premier engagement à l’étranger à Bilbao, en 1956 (Desdemona), puis Bayreuth, en 1958 (Kundry en allemand, sous la baguette de Hans Knappertsbusch). Barcelone, Milan (pour la résurrection de Fedra d’Ildebrando Pizzetti, en 1959), Glyndebourne, Londres, Buenos Aires, Vienne, Chicago, New York…
Un parcours formidable, avec des hauts et des bas (dont la consternante cabale parisienne de 1973). Mais jamais Régine ne baisse les bras. Carmen, Madame Flora (The Medium de Gian Carlo Menotti), Madame de Croissy (Dialogues des Carmélites), la Comtesse (La Dame de pique) sont des tournants correspondant à l’évolution de la voix, tandis que la mélodie et le lied prennent une place conséquente dans son répertoire. Vint aussi le moment de la transmission et du professorat, dans des classes de maître et au Conservatoire de Paris.
Quelques propos de proches, des portraits de ses enseignants (mais aucun témoignage de ses élèves, ce que l’on regrette), une discographie, une bibliographie complètent ce travail indispensable, portrait attachant de l’une des rares stars françaises de l’art lyrique. L’Opéra de Paris ne l’a pas toujours reconnue à sa juste valeur. Tant pis pour lui. Le public, qui lui est resté fidèle, ne s’y est pas trompé.
MICHEL PAROUTY