Opéras La bonne Auberge de Lausanne
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La bonne Auberge de Lausanne

06/01/2022

Opéra, 27 décembre

L’Auberge du Cheval-Blanc (Im Weissen Rössl, Berlin, 1930), de Ralph Benatzky, est l’opérette à grand spectacle la plus illustre de l’entre-deux-guerres. Sa reprise, dans la mise en scène fastueuse de Maurice Lehmann, au Théâtre du Châtelet, devint légendaire à partir de 1948, et jusqu’aux années 1960.

Mais s’agit-il d’une opérette ? D’une comédie musicale ? D’une revue ? Les rythmes de fox-trot foisonnent, et les airs intercalés de Robert Gilbert, d’Anton Profes, de Robert Stolz posent la question. La version française de Lucien Besnard et René Dorin, quant à elle, créée au Théâtre Mogador, en 1932, fait référence explicite à l’opérette dite « marseillaise », avec le personnage haut en couleur de Napoléon Bistagne, négociant en tricots, qui exige à la fois un « premier comique » et un chanteur.

Autant le souci musicologique peut alourdir quelques spectacles contemporains, autant la nouvelle production de l’Opéra de Lausanne résout avec élégance les difficultés dues à ces composantes hétérogènes. Le « grand spectacle » n’est ni éludé, ni moqué, il est à la fois conservé et dépassé. L’accès à la gare par tunnels et virages, l’arrivée du bateau à aubes au débarcadère, les montagnes enneigées, le brusque orage typique du Salzkammergut sont bien présents, et l’esthétique imaginée par les décors de Bruno de Lavenère et les lumières de David Debrinay enchantent.

La vidéo spirituelle d’Etienne Guiol alterne allusions aux films en noir et blanc, style Keystone, et transposition imagée du texte, tel ce soleil évocateur de la 20th Century Fox. L’oculus doré dans lequel se focalise l’action (ainsi la scène du conseil municipal, où seuls paraissent les visages animés des participants), les costumes signés par Karolina Luisoni (uniformes couleur parme du personnel de l’auberge, robe blanche et manteau de fourrure de Josépha), tout est « Années folles » et « Art déco ».

Comment ne pas sourire des allusions aux Folies Bergère et au Casino de Paris ? Gilles Rico, metteur en scène philosophe, sait parfaitement suggérer tout ce dont une tradition est porteuse, et le reprendre habilement, grâce à la chorégraphie brillante réglée par Jean-Philippe Guilois. Plutôt que de montrer l’épuisement d’un genre, il équilibre nostalgie et réflexion sur un spectacle où se mire la vie.

Est-ce la raison pour laquelle Jean-Yves Ossonce adopte des tempi souvent très lents ? Le magnifique orchestre Sinfonietta de Lausanne ne demande, pourtant, qu’à se prêter au jazz le plus entraînant. Le Chœur de l’Opéra, comme toujours remarquablement préparé par Jacques Blanc, grand connaisseur des voix et de la direction musicale, brille dans l’ensemble « La bonne auberge du Cheval-Blanc » et son refrain tempo di marcia.

La distribution pose le problème du chant contemporain confronté à un style que l’on ne transmet pas. Les artistes lyriques ne sont plus dépositaires d’une façon de placer la voix, de projeter le mot, de phraser, que certaines productions interdisent à force de pédantisme. Ainsi, en Josépha, le grand soprano de Fabienne Conrad semble osciller entre la crainte d’écraser ses partenaires (elle se prive d’appui dans le médium), et une fatigue passagère due aux répétitions. La deuxième partie de la soirée la montre plus libre, et de lumineux aigus concluent sa performance.

Guy Florès, explicitement baryton brillant, à l’aigu facile, est ici confié au ténor distingué de Julien Dran. À l’heure où tout baryton veut aborder Escamillo (Carmen) après trois ans de carrière, il faut peut-être se résigner aux ténors dans ce type d’emploi, mais ce n’est pas leur faire un cadeau s’ils viennent de Ferrando (Cosi fan tutte) ou de Fenton (Falstaff) !

Aux antipodes, le solide Napoléon Bistagne de Patrick Rocca, comme le commentaire en jodel, pour touristes en quête de cartes postales, par Miss Helvetia réchauffent l’ambiance. Clémentine Bourgoin, Sylvabelle à la voix ductile, et Sophie Negoïta, amusante Clara qui-zozote-et-se-guérit-de-ce-défaut, sont parfaitement à leur place. Rémi Ortega offre une composition approfondie du père de la demoiselle, et Guillaume Paire de son soupirant.

Le Léopold de Mathias Vidal attendrit dans son amour malheureux, puis réjouit dans l’heureuse promotion qui lui permet d’accéder aux plus hautes responsabilités hôtelières. Yuki Tsurusaki, Jean Miannay et Patrick Lapp complètent avec bonheur.

Longtemps, le public demeure sous le charme : « Ainsi va la vie… »

PATRICE HENRIOT

PHOTO © JEAN-GUY PYTHON

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