Deuxième volet de la trilogie du compositeur américain Philip Glass, après Einstein on the Beach (Avignon, 1976) et avant Akhnaten (Stuttgart, 1984), Satyagraha (Rotterdam, 1980) n’a rien d’une narration historique précise. Certes, le sujet est bien la prise de conscience politique de Gandhi, au cours de son exil de vingt ans en Afrique du Sud, mais le livret ne fonctionne que par touches cursives, rédigées, de surcroît, dans un sanskrit inaccessible. La référence successive à trois autres personnages, Léon Tolstoï, Rabindranath Tagore et Martin Luther King, brouille encore davantage les pistes, en laissant entrevoir des horizons supplémentaires.
La pureté minimaliste de la musique de Philip Glass (né en 1937), compositeur resté d’un dépouillement beaucoup plus durablement rigoureux que son compatriote et cadet John Adams, nécessite, de toute façon, de se donner du temps. La magie qui opère à son écoute ne sera jamais immédiate, et elle sera encore plus difficile à appréhender en l’absence de support visuel.
Raison pour laquelle on comprend que certains n’aient pas réussi à écouter jusqu’au bout l’enregistrement audio de Satyagraha, dirigé par Christopher Keene, pourtant excellent (CD Sony Classical). Quant à la captation filmée de la production très inspirée d’Achim Freyer, à Stuttgart, en 1980, elle souffre d’une médiocre qualité d’image (DVD Arthaus Musik).
Cette fois, avec la splendide mise en scène de Phelim McDermott et Julian Crouch, filmée au Metropolitan Opera de New York, en 2011, on tient le vecteur idéal – rappelons, pour mémoire, que la production, créée à l’English National Opera, en 2007, avait fait son entrée au répertoire du Met, l’année suivante (voir O. M. n° 30 p. 62 de juin 2008).
Phelim McDermott et Julian Crouch se sont fait connaître par leur art particulier d’utiliser du papier journal et des bandes de ruban adhésif transparent (!), pour créer des univers fantastiques, habités de marionnettes géantes. Ici, dans une exceptionnelle qualité d’image, on découvre leur travail très original et poétique, qui ne laisse rien au hasard. Pas un bouton de guêtre ne manque aux costumes historiques, minutieusement reconstitués par Kevin Pollard !
Le pouvoir d’envoûtement de la représentation est d’autant plus total que les voix, bien assorties et de grand gabarit, sont accordées en ensembles sonnant magnifiquement. Mention particulière pour Richard Croft, Gandhi à la fois très investi dans son rôle et soucieux d’en respecter l’écriture musicale, au plus près du texte. Direction impeccable de Dante Anzolini, à la tête d’un orchestre opulent, mais dont les découpes restent précises.
Une référence incontournable, pour longtemps.
LAURENT BARTHEL