Stéphanie d’Oustrac a, dès longtemps, franchi les frontières des terres baroques qui ont vu éclore son exceptionnel talent. Elle n’en est pas moins demeurée fidèle à ce répertoire, comme aux ensembles qui l’ont accompagnée dans l’exploration de ses différents rivages, ainsi qu’en témoigne sa collaboration avec Amarillis.
Après un récital consacré à la figure de Médée (Médée furieuse, Ambroisie/Naïve, 2007), puis la mise en miroir de la Vierge Marie et de Didon (Ferveur et Extase, Ambronay, 2011), la mezzo-soprano française retrouve Héloïse Gaillard pour ces Portraits de la Folie, gravés en studio, en septembre-octobre 2019. Tantôt enjouée, et peut-être grimaçante, tantôt éperdue, parfois furieuse aussi, le programme révèle les facettes les plus contrastées d’une Folie qui va, dès lors, bien au-delà de l’allégorie.
Au fil d’une dramaturgie musicale mêlant les langues et les styles de l’Europe de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe, Stéphanie d’Oustrac revêt ces masques avec l’aisance du caméléon, à la fois immédiatement reconnaissable et éminemment diverse dans ses incarnations. Car l’artiste nous entraîne bel et bien, en dépit de l’effectif instrumental intime, au théâtre, et fait d’un air, d’un récitatif de cantate, une grande scène tragique – pourquoi, menue réserve, n’avoir d’ailleurs pas gravé dans son intégralité la Sémélé de Destouches, dont les fragments encadrent un extrait de l’opéra composé par Marin Marais sur le même sujet ?
From silent shades et From rosy bow’rs de Purcell ne sont rien moins que des miniatures quand, plutôt qu’un falsettiste souffreteux ou une soprano pointue, un instrument aussi pulpeux s’en empare, osant appliquer le timbre en pleine pâte, sans pour autant brouiller les contours.
Puisant dans une palette dynamique et chromatique infinie, que porte à ébullition un vibrato palpitant, le trait, ample autant que précis, en français comme en italien – en anglais aussi, une fois admis que l’accent n’est guère idiomatique –, se déploie en un geste expressif flamboyant, et néanmoins subtil. Sans doute parce que l’art de Stéphanie d’Oustrac est étranger à l’artifice et à l’afféterie, donnant à ces pages une immédiateté aux antipodes de ces précieux joyaux du temps jadis, que trop de mesure et pas assez de voix rendaient, sinon ennuyeux, du moins gentiment décoratifs.
La cantate Ah ! crudel, nel pianto mio de Haendel dépasse ainsi les conventions de la poésie arcadienne, pour mettre à nu la féminité blessée d’une héroïne digne d’Agrippina ou Alcina, grâce aux reliefs exacerbés d’un chant bouleversant d’authenticité. Et d’autant plus intense que le dialogue avec l’ensemble Amarillis, qui colle à son interprète fétiche comme une seconde peau, confine à l’alchimie.
MEHDI MAHDAVI