Conçue pour le Festival de Salzbourg, en 1965, la mise en scène de Die Entführung aus dem Serail par Giorgio Strehler (disparu en 1997) ne cesse d’éblouir par son efficience et son inépuisable poésie. Quelque cinquante-cinq années se sont pourtant écoulées depuis sa création, sous la baguette d’un Zubin Mehta de 29 ans !
On la connaissait déjà en DVD, grâce à la firme VAI qui, en 2010, avait publié la captation effectuée lors d’une de ses reprises salzbourgeoises, en 1967 (voir O. M. n° 55 p. 82 d’octobre). Un document d’exception qui supportait, malgré tout, le handicap du noir et blanc.
Bravo, donc, à la firme Cmajor, qui diffuse aujourd’hui, en couleurs évidemment, le filmage réalisé par Daniela Vismara, en juin-juillet 2017, à la Scala de Milan. La distribution est d’un rare éclat, et la magie visuelle intacte, grâce, entre autres, au travail effectué par Mattia Testi, en charge de cette reprise, avec autant de dévotion que de panache.
Inutile de revenir dans le détail sur la beauté des procédés scéniques si chers à Strehler (effets de silhouettes à contre-jour, postures, gestes et mouvements stylisés…), ils participent, bien sûr, de l’enchantement. Au même titre que les sobres costumes de Luciano Damiani et les éclairages savants de Marco Filibeck.
Autre fait remarquable, la présence au pupitre de Zubin Mehta qui, à 81 ans, impose toujours une direction d’un raffinement suprême et une dynamique dénuée d’outrances. Sous sa battue à la fois précise et fluide, la musique du «Singspiel » mozartien irradie de couleurs, de textures, de lumière.
Enveloppés et portés par ce flot, les chanteurs donnent le meilleur d’eux-mêmes. Lenneke Ruiten est une Konstanze tour à tour virtuose et touchante (vibrant « Martern aller Arten »). Dans son sillage, Sabine Devieilhe campe une épatante Blonde (divin « Durch Zärtlichkeit und Schmeicheln »). Leurs deux voix s’avèrent idéalement différenciées et caractérisées, ce qui est loin d’être toujours le cas.
Côté masculin, le plaisir est, lui aussi, total. Mauro Peter incarne un Belmonte quasi idéal. Son timbre à la fois suave, svelte, tendre et brave, lui autorise les inflexions les plus périlleuses (admirable « Konstanze… O wie ängstlich, o wie feurig »). Le Pedrillo de Maximilian Schmitt n’est pas en reste : son « Frisch zum Kampfe ! » est un modèle de générosité.
Il faut saluer l’Osmin charismatique de Tobias Kehrer, dont la présence théâtrale n’a d’égale que l’aplomb vocal (impétueux « O, wie will ich triumphieren »). L’acteur autrichien Cornelius Obonya, enfin, est un Selim plein de prestance.
CYRIL MAZIN