Il aura donc fallu dix-huit années d’une carrière aussi prestigieuse qu’exemplaire, pour que Christophe Dumaux se voit enfin offrir son premier récital en solo – enregistré sur le vif, le 24 mai 2019, lors de la dernière édition du « Festival Haendel » de Göttingen –, alors que tant d’autres falsettistes, élevés en studio, sont lancés à grand renfort de marketing, avant même d’avoir fait leurs preuves à la scène.
Les dons d’acteur du contre-ténor français auraient-ils occulté ses capacités vocales, à bien des égards éclatantes ? Projeté avec assurance, mieux, intrépidité, sur un ambitus impressionnant, l’instrument se déploie sur un souffle à la fois athlétique et serein, qui permet à l’interprète de se montrer aussi sensible et frémissant dans l’élégie que pugnace dans le registre héroïque, quand il ne cède pas à la fureur, avec une ébouriffante agilité.
Quelques minutes lui suffisent pour tracer de chaque personnage un portrait à la fois vigoureux et subtil, triomphant de l’acoustique trop réverbérée de l’église Saint-Jacques de Göttingen, grâce à une émission supérieurement concentrée et percutante – quand l’orchestre, pourtant charnu, tend à rester en retrait, sous la direction du chef britannique Laurence Cummings. C’est qu’à l’exception, peut-être, de Bertarido (Rodelinda), tous les rôles dont sont extraits les airs de ce programme, entièrement consacré à Haendel, portent la marque de l’expérience théâtrale.
Si Polinesso (Ariodante) plante d’emblée le décor, dans un « Dover, giustizia, amor » électrisant, Orlando, abordé dès 2008, avec le regretté Jean-Claude Malgoire, qui a très tôt entendu en Christophe Dumaux bien plus qu’un Tolomeo (Giulio Cesare), longtemps son infaillible passeport pour les plus grandes maisons, présente l’artiste dans sa pleine maturité, aussi attentif aux mots – une diction décidément au cordeau – qu’à la ligne, et d’une expressivité que la folie même du paladin ne pousse pas jusqu’à un expressionnisme désordonné.
Qu’importe, dès lors, que le timbre, dont le métal flamboyant peut se teinter d’acidité, soit plus affûté que flatteur ? La technique jamais prise en défaut, la rigueur du style et, plus encore, son exceptionnelle capacité d’incarnation mènent le contre-ténor à la victoire !
MEHDI MAHDAVI