Donné d’abord en concert, à Versailles, en 2013, et enregistré par Naïve (voir O. M. n° 90 p. 76 de décembre), Der fliegende Holländer, dans sa version en un acte de 1841, a été monté ensuite au Theater an der Wien, en novembre 2015. Le DVD, excellemment filmé par François Roussillon, révèle un spectacle qui, d’un bout à l’autre, tient sous le choc.
Le très beau décor de Pierre-André Weitz, habilement éclairé par Bertrand Killy, propose, sur un plateau tournant particulièrement pertinent pour la fluidité des transitions, des panneaux et structures de bois noir, en surface continue ou, au contraire, en perspective accélérée profonde, pour présenter de façon saisissante ce qui pourrait être carène de navire ou prison, traversée par des rais lumineux qui seraient comme autant de barreaux.
S’appuyant très étroitement sur le texte, Olivier Py est ici dans son univers, développant une vision cohérente d’une force extrême, dans l’esprit de son Tristan und Isolde de 2005, à Genève. Assis à sa table de maquillage, Satan ouvre le bal, comme danseur et manipulateur (excellent Pavel Strasil). La mort est partout présente, à commencer par ces dessins de crânes épinglés au mur, qui deviendront, de fait, une tête monumentale, après que le décor a éclaté, Senta se réfugiant dans l’une de ses orbites.
Dans cet univers obstinément clos et en noir et blanc, jusqu’à la première partie de la fête aux couleurs violemment expressionnistes – seul moment peut-être moins exceptionnel –, pas de rédemption, donc, mais une fin qui laisse volontairement dans l’expectative.
Une direction d’acteurs de première force galvanise une équipe de chanteurs aguerris dans leurs rôles respectifs. Le fascinant Hollandais de Samuel Youn, qui n’a cessé de progresser depuis le désastreux spectacle de Bayreuth, en 2013, allie une implacable noirceur à une ligne de chant qui sait être raffinée. Ingela Brimberg s’impose en Senta, volontaire et farouche, avec sa longue silhouette noire qui évoque le souvenir d’Anja Silja.
Lars Woldt donne un Donald (Daland) retors et méchant d’un haut relief, non moins que le Georg (Erik) de Bernard Richter, ardent et véhément, nonobstant la beauté du timbre. Ann-Beth Solvang est une Mary très bien chantante, et Manuel Günther, un parfait Pilote.
Avec la verdeur conquérante de son ensemble Les Musiciens du Louvre, Marc Minkowski redonne sa lecture énergique de 2013, où les choix personnels sont toujours en plein accord avec la production.
En soi, chacune de ces composantes pourrait prêter à discussion ; fondues dans cette puissante conception unitaire, elles en démultiplieraient plutôt l’effet.
Une version qui rejoint le peloton de tête de la vidéographie.
FRANÇOIS LEHEL