Salzbourg à son zénith, encore une fois, ne paraît pas jouer dans la même catégorie que les autres festivals. Dans la formidable série de l’été 2018, La Dame de pique n’était pas, au premier abord, la plus spectaculaire (voir O. M. n° 143 p. 60 d’octobre). Dans le très remarquable filmage de Tiziano Mancini, elle ressort, peut-être, comme la plus digne de s’inscrire durablement au premier rang de la vidéographie.
Car c’est le cas précieux où tout concourt, au même plus haut niveau, à la réussite d’ensemble. À commencer par le concept d’un Hans Neuenfels véritablement inspiré, qui abandonne cette fois toute incongruité pour aborder de front, et dans toute son intensité, un drame dépouillé constamment poignant, placé dans les décors d’une sobre et noble beauté de Christian Schmidt, avec les singuliers et brillants costumes surréalisants de Reinhard von der Thannen.
Et puis, il y a le plateau, quasi idéal par son homogénéité et sa pertinence, dominé par les deux héros – reconduits, comme le chef, de la superbe Lady Macbeth de Mtsensk de 2017 –, lui dans son uniforme à brandebourgs d’un rouge éclatant, ouvert sur la poitrine dénudée, elle en blanc, que recouvrira par moments sa cape bleu nuit. Avec une direction d’acteurs de tout premier ordre, l’héroïsme puissamment désespéré de Brandon Jovanovich, Hermann aux aigus éclatants, mais à la palette richement nuancée, et la très grande beauté en scène d’Evgenia Muraveva, Lisa fragile et torturée, d’une pureté et d’un legato exemplaires, nous valent, entre autres, des duos du I et du III d’anthologie.
La grandiose scène du II de la fascinante Hanna Schwarz, Comtesse au crâne rasé, restera un moment historique de sa discographie. Et aussi, le Tomski de Vladislav Sulimsky, d’une mordante présence, rejoignant, dans leurs lourds et inquiétants manteaux de fourrure, des Tchekalinski et Sourine en boyards d’un intense relief. Igor Golovatenko, quant à lui, déroule, avec un timbre d’argent chaleureux, un splendide discours du Prince Eletski.
Avec un Wiener Philharmoniker dont on ne redira jamais assez l’exception (les cordes toujours !), Mariss Jansons, enfin, est d’emblée admirable d’intelligence et de sensibilité. Pointons seulement d’infimes décalages avec le chœur, quand celui-ci est au fond du plateau, et une gestique de celui-ci pas aussi impeccablement réglée dans les mouvements d’ensemble.
Pour le reste, c’est le bonheur parfait, ou plutôt la douleur parfaite, car rarement le chef-d’œuvre de Tchaïkovski n’aura suscité une aussi intense compassion.
FRANÇOIS LEHEL