En 2015, à Londres, pendant la finale du Concours « Operalia » à l’issue de laquelle elle avait remporté le Premier prix, le Prix du public et le Prix « Birgit Nilsson », Lise Davidsen nous avait impressionné dans l’air d’entrée d’Elisabeth de Tannhäuser. Trois ans plus tard, dans la nouvelle production d’Ariadne auf Naxos à Aix-en-Provence, son incarnation de la Prima Donna/Ariadne nous avait carrément ébloui.
Son premier récital en studio, gravé en septembre-octobre 2018, va encore plus loin : non seulement il confirme les dons exceptionnels de la soprano norvégienne, mais, grâce à la direction musicale d’Esa-Pekka Salonen, il s’avère l’un des disques les plus exaltants de cette saison 2018-2019 qui s’achève.
En toute logique, c’est avec Tannhäuser, dans lequel Lise Davidsen fera ses débuts à Bayreuth, le 26 juillet prochain, que s’ouvre le programme. « Dich, teure Halle » dévoile d’emblée toutes les qualités de la voix : ronde, puissante, veloutée, homogène et d’un rayonnement irrésistible dans l’aigu (quelle facilité sur le si naturel, qui arrache un cri à tant de ses consœurs !). Trop ample pour « Allmächt’ge Jungfrau » ? Peut-être, malgré de réels efforts pour l’alléger, et une belle sensibilité dans le phrasé.
Le monologue « Es gibt ein Reich » d’Ariadne, avec ses attaques franches et pénétrantes dans l’aigu, son grave naturellement opulent et sonore, son ahurissante longueur de souffle dans la péroraison finale, transporte l’auditeur vers les cimes, avec le concours d’un orchestre sublime de sensualité et de finesse.
La suite, exclusivement dédiée aux lieder de Richard Strauss, ne fait pas un instant regretter l’absence des héroïnes d’opéra où l’on rêve d’entendre Lise Davidsen (Sieglinde, Chrysothemis, Helena, voire, dans le cadre d’un récital de studio, Isolde). Car les versions orchestrées de l’opus 27 ou de la célébrissime berceuse Wiegenlied s’accommodent idéalement d’une telle richesse. Cäcilie ressemble ici au « Zweite Brautnacht » de Die ägyptische Helena, Heimliche Aufforderung déploie des torrents de tendresse et Morgen !, phrasé sans une once d’affectation, plonge l’auditeur dans l’extase.
Pour les Vier letzte Lieder, Lise Davidsen se souvient qu’ils furent créés, en 1950, par sa compatriote Kirsten Flagstad. Un instrument de vastes proportions peut donc s’y glisser sans problème, pour peu que l’artiste soit capable de l’éclaircir et de l’alléger quand il le faut. C’est exactement ce qui se passe ici, notamment dans un Frühling comme en suspension dans le temps et l’espace, et un Beim schlafengehen d’une beauté et d’une sérénité envoûtantes.
Faut-il émettre une (petite) réserve avant de conclure ? Il est possible de trouver un peu trop « vocale » cette interprétation de l’ultime cycle straussien, qui, par exemple dans September, tend à privilégier la plénitude du son davantage que la mise en valeur du texte.
De bout en bout, Esa-Pekka Salonen est bien plus qu’un accompagnateur. Il dialogue avec sa jeune soliste (Lise Davidsen vient tout juste de fêter son 32e anniversaire !), la porte, l’enveloppe jusqu’à ce que l’orchestre ne fasse plus qu’un avec la voix, la fusion atteignant son point culminant dans Im Abendrot, conclusion miraculeuse d’un disque en tous points mémorable.
RICHARD MARTET