Le Comte Ory a bien de la chance : voici déjà sa sixième version en DVD. Résumons brièvement le parcours.
Enregistrée à Glyndebourne, en 1997, la production signée Jérôme Savary avait pour elle une mise en scène joyeusement « olé olé » et un trio de choix (Annick Massis/Adèle, Ludovic Tézier/Raimbaud, Marc Laho/Ory), auquel s’ajoutait sans démériter Diana Montague en Isolier (Warner Vision). En 2011, à Zurich, la vision « sixties » de Patrice Caurier et Moshe Leiser avait pour étoiles l’Adèle de Cecilia Bartoli et l’Ory remarqué et remarquable de Javier Camarena (Decca). En 2011, encore, mais à New York, cette fois, Diana Damrau/Adèle, Joyce DiDonato/Isolier, Juan Diego Florez/Ory et Stéphane Degout/Raimbaud formaient un quatuor de haut vol (Erato). À un niveau de réussite moindre, signalons également les captations de Pesaro, en 2009, avec Yijie Shi dans le rôle-titre (Arthaus Musik) et de Malmö, en 2015 (Naxos, voir en p. 82 de ce numéro).
Et si la dernière parue venait rafler la mise ? Le 19 décembre 2017, l’Opéra-Comique affichait une nouvelle mise en scène, coproduite avec l’Opéra Royal de Wallonie-Liège et Château de Versailles Spectacles, que les caméras ont captée les 27 et 29 décembre. Les quelques réserves émises après un soir de première (voir O. M. n° 136 p. 58 de février 2018) s’effacent rapidement.
L’adroite réalisation vidéo de Vincent Massip permet de suivre plus intimement le travail théâtral et le jeu des interprètes. Denis Podalydès trouve le rythme qui convient à cette fantaisie débridée et, sans forcer le trait, maintient la tension, en réussissant une caractérisation des personnages qui ne les épargne pas, mais ne gêne en rien la sympathie qu’ils dégagent. Les décors d’Eric Ruf et les costumes imaginés par Christian Lacroix participent du même esprit d’efficacité et de drôlerie, et l’image permet de mieux en apprécier les détails.
Le chœur Les Éléments de Joël Suhubiette ne mérite que des éloges. L’Orchestre des Champs-Élysées déploie ses sonorités affûtées, sous la baguette équilibrée, dynamique et élégante de Louis Langrée, conciliant les traits italiens et français d’une partition plus complexe qu’elle n’en a l’air. Et quelle distribution !
Patrick Bolleire, au fil des représentations, commence à s’approprier la silhouette et la vocalité du Gouverneur. Entendre l’Alice de Jodie Devos est un délice. Timbre somptueux et sens du comique : Eve-Maud Hubeaux est une Ragonde désopilante, à laquelle le Raimbaud épatant de Jean-Sébastien Bou n’a rien à envier.
Ravissant, juvénile, malicieux, et tellement bien chantant, l’Isolier de Gaëlle Arquez est à croquer. Julie Fuchs a la grâce mutine et le charme de la Comtesse Adèle, la souplesse et l’allant dans des vocalises enlevées avec brio et toujours expressives. Tantôt suave, tantôt claironnante, la voix de Philippe Talbot est celle d’un ténor en pleine possession de ses moyens.
Tous trois rivalisent de séduction vocale, de finesse musicale, de pertinence dramatique. Inutile de dire qu’ils font du trio « À la faveur de cette nuit obscure » un moment magique.
Que le souvenir de ce Comte Ory soit ainsi préservé n’est que justice.
MICHEL PAROUTY